Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son concours sans lui imposer d’autre loi que de réparer par une conduite habile les fautes commises par le cabinet. Tel est en réalité le vœu de l’opposition. Ainsi donc, lorsque M. le ministre des affaires étrangères dénonce de prétendus projets de transaction, lorsqu’il déclare que la politique fondamentale est en péril, ce sont là des expédiens de tribune destinés à effrayer le parti conservateur et à serrer ses rangs autour du cabinet. La vérité est que personne ne songe à menacer la politique fondamentale. La seule politique en péril est celle du droit de visite, de l’Océanie, de l’indemnité Pritchard. Est-ce donc là la politique sur laquelle il ne faut pas transiger ?

C’est la tactique du cabinet de faire supposer que le parti ministériel suivrait tout entier les ministres du 29 octobre dans leur retraite, et que leurs successeurs ne pourraient gouverner sans l’appui de toutes les oppositions réunies. Le ministère veut nous faire croire, ainsi que l’a dit M. Barrot, que nous avons devant nous le dernier homme et le dernier mot du parti conservateur. Cette prétention ne mérite pas un examen sérieux. Il est évident pour tous les gens de bonne foi qu’une administration nouvelle, formée dans un esprit de conciliation, trouverait dans les deux centres les élémens d’une majorité puissante. Il est évident que le ministère n’entraînerait avec lui qu’un très petit nombre d’adeptes, dont l’opposition violente aurait pour effet de fortifier le cabinet nouveau en perpétuant à côté de lui le souvenir et comme l’image d’une politique condamnée par l’opinion ; rapprochement heureux qui le ferait valoir par le contraste. M. Guizot a donc produit fort peu d’effet sur les centres quand il leur a dit que le ministère du 29 octobre, s’il succombait, ferait place à un pouvoir protégé, humilié, forcé chaque jour de mendier son pain. Ces paroles blessantes, dirigées contre un homme que l’opinion désigne pour réparer les fautes de M. Guizot, ont paru l’expression de la colère et du dépit : il eût été plus courageux d’ailleurs de les prononcer au Luxembourg. Dans tous les cas, l’accusation est étrange : M. Guizot déclare que M. Molé, s’il venait au pouvoir, subirait le joug d’un patronage humiliant. Or, que fait aujourd’hui M. Guizot ? Qu’a-t-il fait depuis deux mois ? qu’a-t-il fait depuis quatre ans ? Vit-on jamais un ministère plus protégé, moins fier, ayant moins le droit de l’être, que le ministère du 29 octobre ? En 1839, M. Molé avait huit voix de majorité ; il avait pour lui le prestige d’une défense éclatante qui avait forcé l’admiration de ses adversaires ; il était le chef d’une administration fortement unie, dont M Guizot a su apprécier plus tard les talens et les lumières. Le parti ministériel s’engageait à le soutenir jusqu’au bout. Néanmoins M. Molé a quitté le pouvoir ; il n’a pas voulu conserver une situation qui ne lui laissait pas une liberté suffisante pour gouverner dignement, honorablement. Et voilà l’homme que M. Guizot accuse aujourd’hui de vouloir placer le gouvernement dans une condition humiliante ! M. Guizot, quand il parle de ses adversaires, ne devrait pas s’oublier lui-même. Qui ne sait tous les sacrifices que son amour-propre est capable de faire lorsqu’il s’agit de conquérir le pouvoir ou de le garder ? Qui ne se souvient de sa visite à M. Thiers pour le solliciter de former