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abus, avec ses conséquences les plus désastreuses, ce principe de la main-morte, que l’ancien régime avait entraîné dans sa chute. Ira-t-on plus loin encore ? Essaiera-t-on de remettre le clergé en possession des biens déjà vendus ? Ici, on rencontre de tels obstacles, que tout cabinet, quel qu’il soit, ne peut manquer de s’y briser, pour peu qu’il entreprenne de les vaincre. Dans tous les partis, dans tous les rangs, dans les chambres, dans la magistrature, partout enfin en Espagne, vous trouvez des acquéreurs de biens nationaux tout-à-fait déterminés à combattre la réaction. L’un d’eux, le jour même où M. Mon a lu au congrès le projet de loi qui rend au clergé les biens non vendus, est monté à la tribune pour porter au gouvernement le défi d’achever son œuvre en restituant les domaines aliénés. Ce député, le frère du ministre des finances dans le cabinet Gonzalez-Bravo, a nettement déclaré qu’une guerre civile, à laquelle il n’hésiterait pas à prendre part, non plus que ses amis, éclaterait du moment où l’on essaierait de porter le moins du monde atteinte aux droits acquis. Le cabinet a eu beau répondre, par l’organe même de son président, que ces droits n’étaient pas menacés ; il n’est point parvenu à dissiper les inquiétudes que le dernier acte du ministère a soulevées dans Madrid et dans tout le pays. Rien de plus grave, à notre avis, que cette protestation des acquéreurs de biens nationaux, au moment surtout où dans le royaume se reproduisent les bruits de conspiration. Il ne faut point s’exagérer l’importance de la conjuration militaire qu’on vient de découvrir à Vittoria ; il y a là, cependant, pour le gouvernement de Madrid un sujet de réflexions très sérieuses : dans un pays où l’on est encore si prompt à conspirer, est-il bien prudent, bien opportun de soulever une question qui infailliblement doit rendre plus vives que jamais les divisions des partis.




Comme nous l’avions prévu, la question des jésuites a produit une révolution dans le canton de Vaud. Il y a dans cette révolution trois choses qu’il faut bien comprendre, si on veut en apprécier toute l’importance et le véritable caractère. D’abord, ce n’est point une simple révolution gouvernementale, un changement de personnes, quoique, dans le moment même et au gré de ses principaux meneurs, elle puisse bien n’aboutir qu’à ce résultat. C’est la révolution d’un canton dont les mouvemens intérieurs ont toujours eu une grande influence sur les affaires générales de la Suisse, de celui par lequel a commencé le renversement de l’ancienne confédération en 1798 et de l’œuvre de la restauration en 1830. Aussi, la révolution actuelle du canton de Vaud a-t-elle eu sur-le-champ le plus grand retentissement en Suisse et au dehors. Après cela, ce qu’il ne faut pas non plus y méconnaître, c’est que le peuple l’a réellement voulue, non pas sans doute telle précisément qu’elle s’est faite, mais enfin il a bien entendu se montrer, commander, agir en maître. Le peuple est maître ; c’est non-seulement ce qu’il a pensé en venant à Lausanne, c’est ce qu’il a dit textuellement et de mille autres façons.