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du fond est bien moins riche au Potosi que celui qui est voisin des affleuremens ; mais est-ce que le minerai ne plonge pas au-dessous du plateau où le Potosi se dresse, et à partir duquel seulement la masse a été calculée ? Ensuite il s’en faut bien qu’on ait tiré parti de tous les minerais extraits jusqu’à ce jour. Les producteurs d’argent aujourd’hui vivent presque uniquement sur les déblais que les anciens avaient abandonnés en amas immenses, comme de trop pauvre qualité. Ces rebuts, nommés pallacos, ne rendent que la moitié ou les trois quarts d’un millième d’argent. Ce n’est que la moitié de la teneur à laquelle le mineur mexicain s’arrête[1] ; mais, comme on n’a que la peine de les prendre, on s’en contente, on trouve du profit à les exploiter, quoique les méthodes de travail du Pérou soient bien plus imparfaites, je ne dis pas assez, bien plus grossières, bien plus indignes d’un peuple qui se donne pour civilisé que celles du Mexique. Les Mexicains, si peu avancés qu’ils soient, sont de grands mécaniciens et de savans mineurs auprès de la population du Potosi et des extracteurs péruviens en général. Tout ce qu’on peut imaginer de barbare, d’arriéré, de brut, donne à peine l’idée des procédés mécaniques en usage dans ces exploitations. Des mines où l’on ne peut se tenir debout, où la notion de la ligne droite n’a pas pénétré, où tous les transports se font à dos d’homme, où l’air manque et où les travailleurs suffoquent. Pas une charrette là où l’on aurait le plus de profit à en avoir ; pas une descenderie le long des pentes où il serait le plus facile d’en ménager. Toujours et partout l’homme pour bête de somme. C’est à bras d’homme qu’on épuise l’eau des mines ; au Mexique, du moins, on se sert de la force des chevaux. De même dans les ateliers d’amalgamation. Quoique ce soient des mineurs péruviens qui, les premiers, aient substitué des mulets aux hommes pour fouler les matières et renouveler les surfaces, cette innovation n’a pas encore pénétré au Potosi. Cette besogne y est aujourd’hui encore faite par des hommes payés à raison de 3 francs 40 centimes, et même à ce prix on en trouve à peine. La population fuit les mines, séjour malsain où le travail est horriblement pénible, et contre lequel elle nourrit une répugnance héréditaire à cause de la contrainte qu’on exerçait contre elle du temps de la domination espagnole. Elle n’a pas plus de goût pour les ateliers d’amalgamation, parce qu’il est reconnu qu’un travailleur qui s’emploie au bocard où l’on pulvérise la mine à sec (au lieu de la broyer sous l’eau avec les arrastras mexicaines) n’a pas plus de cinq années à vivre, et parce que ceux qui piétinent dans les boues de farine métallique et de mercure contractent de cruelles maladies. En

  1. Plus exactement 4 et demi à 7 dix millièmes. Les minerais en petite quantité qu’on retire des filons sont moins pauvres. Ils rendent de 9 à 12 dix millièmes, mais, à cause des frais d’extraction, ils ne donnent pas plus de profit que les pallacos.