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pour cela qu’il se ruine en fêtes brillantes qui servent de texte aux pompeuses réclames des journaux du comté. Certes, beaucoup de nobles lords ont agi tout aussi follement, abusés par les mêmes prestiges ; mais nous ne croyons pas possible qu’aucun d’eux ait jamais eu le courage de s’avouer à lui-même, bien moins à un autre, et surtout à un inférieur, la secrète faiblesse de son âme orgueilleuse.

Lady Hunsdon est un type non moins vrai, non moins insignifiant, non moins impropre à la comédie. Capricieuse, hautaine avec ses parasites, elle se jette, elle et sa fille, à la tête de ceux qu’elle veut enlacer et dominer. C’est bien l’enfant gâté du destin, la femme à la fois étourdie et calculatrice, cervelle éventée, cœur absent, intéressée et frivole, traitant du même air, et avec la même insouciance perfide, les affaires de famille et les plaisirs de la vie de château ; mais, je le répète, ce sont là des traits généraux qui n’animent pas la scène, une satire didactique dont les procédés réguliers et froids sont antipathiques au commun des spectateurs. Sheridan était certes bien mieux inspiré quand il traçait le portrait de lady Teazle, Congrève celui de mistress Frail, et Farquhar ceux de Dorinda et de mistress Sullen dans cette leste comédie qu’il a intitulée le Stratagème des Elégans[1].

En continuant à examiner ces types aristocratiques, nous arrivons à celui de lord Bellamont, le fils unique du comte. Bell, comme l’appellent familièrement sa mère et sa sœur, est l’étudiant mal-appris de Cambridge ou d’Oxford, jockey forcené, tumultueux, indiscret, corrompu par la complaisance des valets et des parasites, insupportable même pour eux, et provoquant pour tout autre. Aisément persuadé que ce portrait approche de la caricature, nous ne comprenons pas qu’un pareil brise-raison, un si insolent gamin, soit toléré dans un monde qui se pique de quelque dignité, dans un pays où le respect de soi-même (self-respect) est poussé quelquefois jusqu’à la plus ridicule affectation. On nous a souvent accusés de laisser-aller, de complaisance outrée, de souplesse servile ; mais chez nous, à l’heure qu’il est, lord Bellamont serait arrêté court, au plus vif de ses escapades, par le premier venu, bien ou mal né, dont il s’aviserait de railler la tournure et la mise avec le sans-gêne insultant que mistress Gore attribue à ce dandy universitaire.

Sir J. Mordent, le cousin des Hunsdon, est un caractère dont les romanciers anglais ont fait abus, et qui doit être regardé, par cela même, comme d’une incontestable vérité. Vous le trouverez déjà dans les tableaux de la société anglaise sous George III, telle que Mme d’Arblay (miss Burney) l’a connue et représentée. C’est l’homme riche, au cœur

  1. The Beaux Stratagem.