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Ces faits sont accomplis, et ils créent une autre situation à laquelle il faut faire face. Loin que l’espèce d’isolement dans lequel il convient de se tenir à l’égard de quelques puissances doivent enchaîner notre activité, nous y voyons plutôt une excitation à laquelle il est nécessaire de répondre. Le pouvoir n’aura de force, de véritable autorité auprès des chambres et dans le pays qu’en montrant une résolution, une fermeté au niveau des circonstances. Les grands intérêts industriels et commerciaux de la France réclament également de la part du cabinet une vive sollicitude, une judicieuse initiative. A nos portes, la Belgique se prépare à invoquer encore une fois l’union douanière comme le seul remède au malaise qui la travaille. Le ministère ne songera-t-il pas sérieusement à profiter de semblables dispositions ? Il doit considérer la France comme entièrement libre d’agir sous l’unique inspiration de ses intérêts. C’est là une occasion naturelle, heureuse, de faire porter des fruits à la politique d’isolement.

Aucun esprit sérieux ne peut demander qu’on réponde par de stériles bravades à l’attitude que viennent de prendre les trois puissances ; mais le ministère trouvera dans tous les rangs de la chambre, dans la majorité comme dans l’opposition, une conscience très énergique de ce que réclame la dignité nationale. La question de Cracovie donnera un vif intérêt à l’amendement présenté chaque année en faveur de la nationalité polonaise. Si dans d’autres temps les chambres ont pu avoir la pensée d’être plus avares de l’intervention morale de la France, aujourd’hui cette omission, ce silence, ne sont plus de mise ; on les interpréterait comme un lâche abandon d’un peuple malheureux. La France n’a pas, il y a seize ans, provoqué une guerre générale pour la cause de la Pologne, aujourd’hui elle ne tirera pas le canon parce que Cracovie est incorporée à la Gallicie ; mais elle continuera de protester, mais elle protestera plus haut, parce qu’une injustice nouvelle et plus flagrante est venue s’ajouter aux anciennes. Il y a, nous le savons, dans les conseils des gouvernemens absolus, un mépris assez cynique des réclamations qui s’élèvent en faveur de la faiblesse opprimée : ce dédain n’a pas la puissance de nous faire croire au perpétuel triomphe de la violence sur le droit.

C’est même dans notre époque une des faiblesses des gouvernemens absolus que l’ignorance où ils vivent presque toujours de l’opinion générale, de ses jugemens, de ses susceptibilités. Parce que rien ne bouge autour d’eux, ils estiment que tous leurs actes sont approuvés, ou du moins accueillis par une entière indifférence. Les trois cours de Saint-Pétersbourg, de Vienne et de Berlin concluent peut-être du silence ou du langage censuré des feuilles allemandes que l’illégitime absorption de Cracovie dans la monarchie autrichienne n’a de l’autre côté du Rhin que très légèrement indisposé les esprits. L’Allemagne n’a pas sans doute, pour ce qui est polonais, ou plutôt pour ce qui est slave, une sympathie égale à celle que nous ressentons. Il y a entre les deux nationalités slavonne et germanique une guerre sourde, qui, si ancienne qu’elle soit, n’est pas près de finir. Cependant il y a dans le fond du caractère allemand un respect invétéré du droit qui a dû lui faire porter un jugement sévère sur le coup d’état qui a frappé Cracovie. D’ailleurs, les peuples qui aspirent au développement progressif de leurs institutions comprennent que toute usurpation qui se commet autour d’eux est pour leur propre cause un danger et un obstacle.

On a eu au plus haut point ce sentiment en Italie. Là la violence des trois cours