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ce qu’il faut soutenir, si l’on veut trouver quelque fondement aux accusations de la presse anglaise. Il y a plus d’un siècle qu’après une longue lutte il a été convenu entre les puissances de l’Europe que le petit-fils de Louis XIV et ses descendans occuperaient légitimement le trône d’Espagne, et c’est alors qu’il fut posé en principe qu’en aucun cas les couronnes de France et d’Espagne ne seraient réunies sur la même tête. Des renonciations réciproques, faites solennellement tant à Madrid qu’à Versailles, sanctionnèrent cette condition fondamentale du traité d’Utrecht. C’est tout ce que voulait alors l’Angleterre ; aussi, dès qu’elle eut la conviction que Louis XIV consentait sincèrement à la séparation perpétuelle des deux monarchies, elle travailla activement à la pacification générale. Dès le commencement des négociations, la reine Anne avait dit au plénipotentiaire français : « Je n’aime point la guerre, et je contribuerai de tout mon pouvoir à la terminer au plus tôt. » Aujourd’hui tout le monde pense comme la reine Anne ; personne n’aime la guerre. Il serait vraiment étrange que, dans cette disposition commune à tous les esprits, notre gouvernement se fût abandonné à une témérité qui pût compromettre la paix.

La France reste donc fidèle à l’esprit des anciens traités ; elle a le droit de son côté, quand elle donne un de ses princes pour époux à la sœur de la reine Isabelle. Maintenant était-il d’une meilleure politique de se montrer indifférent dans une semblable affaire, d’abandonner au hasard ou à l’action de l’Angleterre la question du double mariage ? Nul ne le pensera. La France trouvait dans le mariage de la reine Isabelle et de l’infante une occasion naturelle d’assurer en Espagne son influence, ou plutôt de l’y rétablir, et cela d’une manière qui n’avait rien de blessant pour les justes susceptibilités d’une nation généreuse. Il ne s’agissait ici ni de conquête ni d’intervention armée. C’étaient précisément ces allures violentes qui, depuis le commencement du siècle, nous avaient aliéné l’Espagne. Napoléon ne déserta pas les traditions de Louis XIV ; mais, tombant dans une de ces exagérations qui le perdirent, il voulut faire d’un de ses frères un autre Philippe V, et il eut l’inexcusable tort d’offenser gravement la nationalité espagnole, qui se vengea en lui portant de terribles coups. En 1823, la branche aînée des Bourbons crut devoir intervenir à main armée dans les affaires intérieures de la Péninsule, et, avec quelque modération que se conduisissent nos soldats au-delà des Pyrénées, leur présence, tout en triomphant des ennemis de Ferdinand VII, ne nous ramena pas les esprits. N’avons-nous pas vu, dans ces dernières années, Espartero chercher sa popularité dans une hostilité systématique contre la France ? La reine Christine et le parti modéré s’étaient appuyés sur l’influence française ; il chassa d’Espagne la reine Christine et proscrivit les modérés. Que devait donc se proposer notre politique, sinon de reconquérir tout le terrain que nous avions perdu, et de consolider l’union des deux pays ? Pour y parvenir, quelle occasion plus favorable que le double mariage de la reine et de sa sœur ? Certains politiques parlent avec mépris des mariages des princes et de l’alliance des maisons royales. Il faudra néanmoins, tant que l’Europe ne sera pas changée, tant qu’elle sera monarchique et gouvernée par d’anciennes dynasties, reconnaître à ces mariages, à ces alliances, une valeur, une portée. Dans l’état actuel des affaires, notre influence en Espagne n’eût-elle pas été irréparablement compromise, si la diplomatie de lord Palmerston eût triomphé, si un prince de Cobourg eût épousé la reine Isabelle ? Le