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la liberté de la pensée. Aussi ne put-il jamais pardonner à son frère Frédéric sa conversion et ses doctrines absolutistes. Pour lui, son culte embrasse toute la nature agissante ; il ne saurait se contenter de temples moins vastes que la voûte des cieux, ou, s’il revient aux religions positives, sa pensée erre flottante du paganisme grec jusqu’au mysticisme indien.

Le panthéisme idéaliste de M. Schlegel se trouve exposé à l’état de système dans un écrit remarquable intitulé : de la Civilisation en général, qui, bien qu’inédit, date de l’année 1805. L’auteur recherche quel doit être l’état primitif du genre humain ; il admet la tradition de l’âge d’or, tout en repoussant les images trop molles sous lesquelles les poètes l’ont dépeint. L’âge d’or lui représente, dans l’ordre intellectuel et physique, une perfection originelle d’où seraient partis les premiers hommes, non pour s’élever, mais pour descendre jusqu’à la civilisation. Dans les œuvres du Créateur comme dans celles du génie, c’est le premier jet qui est le plus heureux ; les ancêtres du genre humain, nés du sein de la terre fécondée par les astres, durent venir au monde avec des organes supérieurs aux nôtres. Ils ne furent pas d’ailleurs abandonnés à eux-mêmes ; d’après Platon et Aristote, M. Schlegel conçoit dans les astres des intelligences motrices, qui ont présidé au développement de la vie morale. Nous n’avons pas à discuter ici ces hardies hypothèses ; il suffit de dire que les spéculations de cette nature, alors même que les conséquences donnent trop facilement prise aux objections, impriment toujours à la pensée une secousse salutaire. L’esprit s’agrandit et s’élève en s’égarant dans ces espaces.

Il n’y a lieu à aucune observation sur les deux derniers volumes des écrits français de M. Schlegel, qui n’ont pas encore paru et ne contiendront rien ou presque rien de nouveau. On pourrait de même parcourir l’édition complète de ses œuvres allemandes, publiée aussi par M. Boecking, sans trouver l’occasion d’ajouter beaucoup de choses, ni du moins de rien changer au jugement déjà émis dans cette Revue sur le célèbre critique. Dans ses dernières années, M. Schlegel se proposait de donner lui-même une nouvelle édition de son Cours de littérature dramatique. La part qu’il prit à la publication des œuvres de Frédéric II le détourna de son projet. Il eut le temps cependant de revoir les premières leçons et d’écrire un appendice d’un grand intérêt sur la disposition et la décoration du théâtre antique. Tout en recueillant les témoignages des scholiastes et des commentateurs, M. Schlegel interroge de préférence les poètes dramatiques eux-mêmes, et il surprend des secrets qui auraient pu échapper long-temps aux érudits de profession. A part ce travail qui est resté inachevé, il n’y a guère d’inédit dans la nouvelle collection de ses œuvres que des vers. Parmi ces vers, il y a bien encore des épigrammes, mais là du moins M. Schlegel est à l’aise, et la gaieté de ses plaisanteries peut faire oublier ce qu’elles ont d’implacable. On regrette toutefois, au milieu de traits dirigés contre la jeune Allemagne, d’en trouver qui remontent jusqu’à Schiller et Chamisso, ou qui s’attaquent à des hommes tels que Niebuhr, MM. Arndt et Welcker. Il est vrai de dire que M. Schlegel choisit ses victimes ; ses satires sont encore un hommage, et, dans d’autres circonstances, il a rendu pleine justice à ceux qu’il immole à ses railleries. Il y a aussi dans le nouveau recueil de ses poésies un grand nombre de pièces dictées par un sentiment plus sérieux. Toutes se recommandent par la souplesse du rhythme et la rare perfection du style. La plus intéressante