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À ces mots, sa voix s’altéra ; elle ne put achever et pencha sa tête sur ses mains jointes, comme pour se calmer et se recueillir. — Ainsi, reprit l’étrangère, touchée jusqu’aux larmes, si je revenais ici, je demanderais inutilement à vous voir ?

— Si vous reveniez, répondit-elle avec un accent inexprimable de tristesse et de résignation, il me serait permis seulement de vous faire dire que je ne suis pas morte, et que je me recommande à vos prières.

L’étrangère éleva vers le ciel un regard qui semblait accuser la Providence divine, et demeura un moment comme abîmée dans de douloureuses réflexions ; puis les larmes qui roulaient sous ses paupières se séchèrent, et ses traits reprirent leur morne immobilité. Elle se tourna silencieusement vers Suzanne, et lui fit signe de déposer contre la grille un coffret qu’elle portait sous son bras. La camériste obéit, et, tirant de sa poche une clé de vermeil, elle l’ajusta à la serrure de ce petit meuble, qui était comme un coffre-fort en miniature garni de feuilles de métal ouvragé et cloué avec des pointes dorées. — Voici les pierreries de la comtesse, dit l’étrangère en désignant le coffret ; je ne sais ce qu’il y a là-dedans, je n’y ai pas jeté les yeux ; mais tout a été scrupuleusement conservé, je crois. Ces bijoux appartiennent à cette enfant ; j’ai dû vous les remettre...

— Hélas ! pourquoi ? interrompit la novice ; le sort de Félise est fixé d’avance ; élevée dans cette maison, elle y prendra le voile ; à quoi lui serviront ces parures ?

— Elle les donnera à votre église le jour où elle fera profession, répondit la voyageuse ; jusque-là elles resteront en dépôt entre les mains de votre supérieure. À cette époque, les gens de loi rendront compte à Félise de sa fortune, et elle pourra en disposer également.

— Elle suivra mon exemple, dit la novice avec un sourire triste ; à dix-sept ans, elle fera vœu de pauvreté et donnera sa dot aux pauvres.

Durant ces explications, Félise s’était emparée du coffret comme d’un joujou ; elle essayait de le soulever par la poignée de vermeil ciselé et tourmentait la clé dans la serrure. Tout à coup elle releva la tête avec un petit cri de joie ; le pêne avait joué, et le coffret venait de s’ouvrir. Avant que Suzanne s’en fût aperçue, la petite fille y plongea la main et retira une poignée de bijoux qu’elle éparpilla devant la grille. Il y avait un collier de perles grosses comme des avelines, des bagues, des girandoles de brillans, et au milieu de ces magnifiques joyaux un portrait en médaillon entouré de pierreries. L’enfant considéra un moment cette peinture, qui représentait une jeune femme blonde et souriante, et la vue de ce doux visage réveillant dans sa débile mémoire un souvenir confus, elle se retourna vers la novice en disant : — Ma tante Geneviève, et maman, où est-elle ? Ici, peut-être.

À cette question inattendue, la novice secoua la tête avec un faible