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sanglots et d’involontaires tressaillemens. Elle ne pleurait pas, et ses yeux, fermés à demi, étaient entourés d’un cercle livide, comme si les larmes qui ne pouvaient jaillir eussent meurtri ses blanches paupières.

Quelques heures plus tard, toute la communauté vint processionnellement chercher le corps de la sœur Geneviève pour le descendre, selon l’usage, au milieu du chœur, où il devait rester exposé jusqu’au lendemain. Lorsqu’on eut emporté le cercueil, Félise se releva d’elle-même et suivit le triste cortège. Pendant le reste de la journée et la nuit suivante, tandis que les religieuses priaient, elle demeura à l’écart, le corps affaissé sur ses genoux, la tête baissée sur sa poitrine. Ni les exhortations, ni les ordres de la supérieure, ne purent la tirer de cette immobilité : elle assista ainsi à la cérémonie des funérailles ; mais lorsque tout fut fini, lorsqu’on eut descendu le corps dans les caveaux de l’église, cette douleur passive se changea en un désespoir effrayant. La malheureuse enfant repoussa les religieuses qui s’empressaient autour d’elle, et sortit du chœur d’un pas rapide ; mais les forces lui manquèrent aussitôt, et elle s’arrêta au pied du grand escalier.

— Ma chère fille, lui dit la supérieure avec une douceur mêlée d’autorité, vous péchez grièvement contre Dieu et contre vous-même en vous abandonnant à ces transports. Ce n’est pas ainsi que doit se manifester la douleur d’une âme chrétienne...

— Ma chère mère, interrompit Félise d’une voix brève, j’ai une grâce à vous demander. Vous ne me la refuserez pas... vous ne pouvez rien me refuser après un si grand malheur...

— Parlez, ma chère fille, je suis disposée à vous accorder tout ce qui pourra contribuer à votre consolation. Que demandez-vous ? que voulez-vous ?

— Je veux sortir sur l’heure de cette maison, répondit Félise en jetant autour d’elle des regards égarés, je veux m’en aller loin d’ici...

À cette déclaration inattendue, un murmure d’étonnement et d’indignation s’éleva de tous côtés. Jamais aucune fille élevée à l’Annonciation n’avait proféré de semblables paroles : c’était comme un blasphème, un arrêt de réprobation prononcé par la bouche même de celle qui voulait abandonner l’asile saint où sa jeunesse avait trouvé les secours temporels et la nourriture spirituelle. La supérieure, un peu émue de cette espèce de scandale, s’écria en levant les mains au ciel : — Le malin esprit veut la perte de cette faible créature ! i)riez pour elle, mes chères sœurs... C’est une âme qu’il faut regagner à Dieu.

À ces mots, elle ordonna du geste aux religieuses de se retirer, et, s’approchant de Félise, elle lui dit avec son air habituel de patience et de mansuétude :

Venez, ma chère fille, votre corps est aussi malade que votre âme ; vous avez peine à vous soutenir. Appuyez-vous sur mon bras.