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La ruine finale du globe, la destruction de notre planète est tout aussi méthodiquement traitée dans le dialogue d’Eïros et de Charmion, que la décomposition de l’être humain dans celui de Monos et d’Una. Le principe est posé de même. Étant donné ce fait élémentaire, que l’air respirable est composé de vingt-une parties d’oxygène, soixante-dix-neuf d’azote, plus une petite partie d’acide carbonique ; étant donné cet autre fait, que la terre est enveloppée par une atmosphère épaisse d’à peu près quinze lieues ; que doit-il arriver si les ellipses décrites autour du soleil par une comète amenaient ce dernier astre en contact avec le globe terrestre ? C’est justement la supposition de Trissotin dans les Femmes savantes[1]. M. Poe n’adopte pas cette manière de voir. Il présente la comète non point comme un corps massif et pesant, mais comme un tourbillon de matière subtile, dont le noyau est d’une densité beaucoup moindre que celle de nos gaz les plus légers. La rencontre n’a donc pas précisément le même danger que celle de deux locomotives lancées sur les mêmes rails, et nous passerons sans peine à travers l’astre ennemi. Mais qu’arrivera-t-il de nous pendant cette singulière trouée ? L’oxygène, principe de la combustion, se développera jusqu’à des proportions contre nature. L’azote, au contraire, sera complètement extrait de l’atmosphère terrestre. Quelle conséquence aura ce double phénomène ? Une combustion irrésistible, qui dévore tout, qui prévaut contre tout (all devouring, omni prevalent). Sur cette donnée, une fois admise, le récit va se suivre ponctuellement logique, avec ses conséquences impitoyables, ses déductions forcées. Contestez, si vous le voulez, la majeure, les prémisses, le point de départ ; le reste est strictement inattaquable.

Ainsi, nous assistons d’abord à cet étonnant spectacle d’un monde entier surpris par l’annonce de sa destruction. A partir du moment où les astronomes ont attesté que la comète doit se rapprocher de la terre, et qu’un contact entre elles est devenu à peu près inévitable, cette terrible vérité, accueillie d’abord par le doute et l’ironie, gagne chaque jour une créance plus profonde et plus générale. Des savans, des hommes aptes à comprendre leurs calculs, la conviction fatale s’étend bientôt aux bonnes gens, aux esprits simples et crédules. De tous les points du globe, les yeux sont fixés sur la menaçante étoile. On note ses progrès, on constate l’agrandissement très lent, mais continu, indubitable, de son diamètre : on en scrute la couleur, on cherche à se rendre compte

  1. Il est bon de remarquer que cette conclusion rencontre des objections, et une des plus graves est un exemple, ou, comme on dit maintenant, un précédent. Il existe, en effet, quatre planètes, dites télescopiques : Pallas, Junon, Cérès et Vesta, qui paraissent n’être que quatre fragmens d’une planète plus grosse, mise en éclat par quelque cause restée jusqu’à ce jour inconnue. L’hypothèse de Cotin, étayée par les raisonnemens de Laplace, n’est donc pas tout-à-fait improbable.