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inspiration, la même police et les mêmes rigueurs à la Grenade et à Saint-Vincent. Un grand nombre de navires se trouvèrent ainsi saisis presque à la fois, et les tribunaux compétens en validèrent la capture. Ce fut, on peut le croire, une clameur universelle dans les îles et une coalition générale contre ce terrible petit capitaine. Lui, silencieux et obstiné, faisait tête à l’orage, et supportait sans s’en émouvoir l’animal version publique. S’il descendait quelquefois à terre, c’était pour y voir très peu de monde, car il n’avait aucun penchant, en général, pour ces habitans des Antilles, que, dans son indignation, il proclamait d’aussi grands rebelles que les nouveaux citoyens des États-Unis.

Cependant sa conduite fut bientôt approuvée par le ministère, et le gouverneur-général de la Jamaïque reçut l’ordre de le soutenir dans l’exécution des mesures qu’il avait adoptées pour la répression du commerce interlope ; mais l’esprit ardent de Nelson ne pouvait supporter le repos, et il sortait à peine des embarras où l’avait jeté son zèle pour les intérêts du commerce anglais, qu’il se créa de nouveaux ennemis et un nouveau sujet d’inquiétudes, en dénonçant à l’amirauté les pratiques scandaleuses des fournisseurs, des agens des prises et des divers employés du service de la marine aux Antilles. Du reste, cette facilité à s’engager dans ces questions délicates lui était inspirée par un dévouement sincère et par une ardeur patriotique qui ne laissa point d’être profitable à l’état. Dès les premiers mois de l’année 1787, près de quatre mille matelots se trouvèrent employés par ce commerce réservé qu’il avait restitué au pavillon britannique, et qui ne s’élevait pas à moins de 58,000 tonneaux. D’un autre côté, les transactions frauduleuses qu’il signalait au gouvernement se montaient, pour Antigoa, Sainte-Lucie, la Barbade et la Jamaïque, à plus de 50 millions de francs. Appuyées sur d’aussi réels services, les prétentions de Nelson à une juste considération n’étaient point assurément déplacées, et c’est à cette époque qu’il répondait avec une fierté légitime au gouverneur-général de la Jamaïque, qui lui avait écrit que de vieux généraux n’étaient point dans l’habitude de prendre conseil de jeunes capitaines : « J’ai l’honneur, monsieur, d’avoir le même âge que le premier ministre d’Angleterre, et je me crois aussi capable de commander un des bâtimens de sa majesté que ce ministre peut l’être de gouverner l’état. »

Nelson venait de traverser alors une des plus pénibles épreuves qui lui aient été réservées, mais il y avait gagné l’estime de tous ceux qui avaient été témoins de son dévouement et de sa constance dans cette crise difficile. Collingwood, la physionomie la plus noble et la plus pure qui ait honoré cette grande guerre si fertile en héros, Collingwood, cet aimable et excellent homme, comme l’appelait Nelson, ne parlait déjà de son ami qu’avec respect et admiration, et c’est à la même époque que le prince William Henry, alors duc de Clarence, conçut pour le jeune