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d’argent, et les cheveux épars sur les épaules, rattachés par des rubans à des chapelets de médailles dorées, quelquefois même à des rangées de grelots retentissans. Les jeux nationaux et les danses sont plus ou moins les mêmes chez tous les Slaves. Le kolo, danse circulaire des Illyriens, se retrouve en Bohême et en Pologne, et, sous le nom de khorovode, les paysans russes répètent cette danse à Novgorod, à peu près comme on la voit exécutée à Belgrad sur le Danube. La guslé, cette guitare primitive que les Slaves seuls connaissent, et avec laquelle les aveugles de l’Illyrie s’accompagnent pour réciter leurs longues rapsodies, la guslé est également au fond de la Russie, sous le nom de balalayka, l’instrument des rapsodes champêtres.

Entre les poésies populaires des différentes nations slavones, il n’y a pas des analogies moins frappantes qu’entre leurs mœurs et leurs arts. Ces analogies se montrent surtout à un haut degré dans les contrées où l’esprit de nationalité est le moins éveillé. Les instincts primitifs étant restés dans ces contrées la base de la vie sociale, il s’ensuit que la poésie y a conservé plus fidèlement, et avec moins d’altération que partout ailleurs, le type slavon. Tout étranger qui parle un dialecte slave y est reçu comme un compatriote. Qu’on visite les Slovaques de la Hongrie, les Bulgares, les Dalmates, les Illyriens d’Istrie et de Carinthie : on verra que ces antiques peuplades, dénuées jusqu’à présent d’un vif sentiment national, regardent encore tous les Slaves comme ne formant qu’un seul peuple. Il n’y a guère qu’un demi-siècle que le sentiment contraire, celui des nationalités distinctes, s’est enfin développé dans les parties plus libres de l’Illyrie, surtout en Croatie et en Serbie. Ce que pensaient à ce sujet les Illyriens du dernier siècle se révèle avec évidence dans la chanson avec laquelle ils avaient l’usage de s’accompagner dans leurs danses nationales, et dont voici les premières strophes :

« Les sages nous ont enseigné, et d’après eux nous répétons que chaque peuple ici-bas a sa vertu distinctive, dont il a été gratifié par le Dieu tout-puissant. Or, ce qui distingue la nation slave de toutes les nations de la terre, c’est l’indomptable bravoure et la fidélité. Alexandre lui-même, le grand roi du monde entier, a porté ce témoignage sur les vertus de notre race. Il a dit que notre race abondait en cours héroïques, et méritait pour cela de porter le beau nom de Slave ou d’illustre.

« Ce nom, nous l’avons reçu de la bouche même d’Alexandre. Admirant notre courage, le héros de Macédoine, avant d’expirer, déclara qu’il maudissait quiconque dans l’avenir parlerait mal de la nation slavone. Pour la récompenser de ses hauts faits, il lui laissa toutes les contrées qui s’étendent depuis la mer latine de l’Adriatique jusqu’aux mers glacées du septentrion. Alexandre voulut que toute cette partie du monde ne subit jamais d’autre loi que la loi slave.

« Depuis lors, toute la grande Sarmatie appartient aux Slavons. La Pologne, la Moscovie, la Hongrie, la Bohême, l’héroïque Bulgarie, sont des états soumis à la race slave. L’Albanie et la féconde Primorée, la Serbie et toutes les Russies nous