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quel misérable rôle se trouve réduite toute la partie de la population qui n’est pas noble. Aussi l’Autriche pourrait-elle au besoin fomenter dans les cercles les plus arriérés de la Bohême et de la Hongrie, tout aussi facilement qu’elle l’a fait en Gallicie, une jacquerie officielle, qui la débarrasserait sans guerre de ses plus illustres ennemis. Les magnats le savent, et, depuis les massacres de Tarnov, la Hongrie fait la morte. La guerre des langues slave et maghyare continue seule avec acharnement dans ce malheureux royaume ; elle achève d’y décourager les patriotes de race slave, qui, de plus en plus impuissans, se résignent à invoquer en secret, comme les Galliciens, en faveur de leur nationalité opprimée, l’intervention russe.

Voilà comment l’imprévoyance des hautes classes et les préjugés aristocratiques conspirent d’un côté avec l’Autriche, de l’autre avec la Russie, pour perpétuer l’oppression. Aussi peut-on dire que, dans le monde slave tout entier, ceux qui défendent le principe des nationalités n’ont plus qu’une seule chance de salut : c’est de se déclarer unanimement contre le servage, contre les privilèges nobiliaires, et d’en poursuivre énergiquement par tous les moyens possibles une abolition si radicale, qu’elle dépasse les plus séduisantes promesses des cabinets de Vienne et de Pétersbourg. Le panslavisme fédéral ne triomphera qu’à ce prix des mille obstacles qui l’entourent, et dont le moindre n’est pas le développement de plus en plus menaçant de l’influence moscovite.


IV. – DU PANSLAVISME RUSSE

Frappé des progrès rapides que faisaient les nationalités slaves hors de son empire, le cabinet de Pétersbourg s’imagina, il y a une quinzaine d’années, de contreminer ce mouvement, non point par un travail contraire, mais par un travail analogue, et pour ainsi dire parallèle. D’accord avec leur gouvernement, qui les comblait de faveurs, les slavistes russes prêchèrent un panslavisme nouveau, qui, en littérature, s’efforça de prouver l’identité de ces deux mots : slave et russe. Vencline et Bulgarine, dans des écrits multipliés, tentèrent de démontrer, par une interprétation captieuse des documens historiques, que tous les Slaves sans exception étaient sortis de la Russie, qui, depuis les temps primitifs, n’avait jamais cessé d’être leur mère commune. L’église schismatique russe fut présentée comme la seule véritable église slave. La langue russe fut vantée partout comme la plus belle et la plus riche des langues slaves, comme étant surtout bien supérieure au dialecte mou et efféminé de la Pologne. Le conseiller Oustrialof prétendit même établir qu’isolée de l’histoire russe, l’histoire de la Pologne n’a aucun sens. À force d’adresse, l’écrivain officiel parvint