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qu’obéir et souffrir, rend inutile à ses gouvernans le déploiement de précautions qu’exige le caractère indomptable, spirituel, ardent du Slave des îles dalmates et des bouches du Kataro. Il y a un abîme entre le spartiate slave du Monténégro et le moujik de Moscovie.

Pour que la Russie pût gouverner sans révoltes, sans péril pour son intégrité comme empire, des populations si différentes de caractère, d’usages et d’idiomes, il faudrait accorder à chacune d’elles un système administratif particulier et des franchises appropriées à ses besoins. Il faudrait rendre la Pologne à son système propre, restituer à tous les Slaves latins leurs lois antiques et une constitution indigène. Or, loin d’admettre ce mode de gouvernement, la domination russe s’efforce d’introduire, partout où elle s’étend, l’uniformité de lois, de langage et même de religion, comme le prouvent sans réplique les persécutions contre les Grecs unis et l’église latine de la Pologne. L’oppression des consciences n’est jamais un moyen durable de gouvernement. Pour centraliser sous son sceptre toute la race slave, le cabinet russe devrait se latiniser lui-même en partie, admettre les institutions libérales et constitutionnelles de l’Occident, et enfin proclamer l’égalité la plus absolue devant la loi pour tous les cultes chrétiens dans son empire. Or, la religion gréco-russe est, par son essence même, ennemie d’une telle égalité ; elle est exclusive et veut régner sans partage : d’où il suit que les Slaves qui la professent sont malgré eux rejetés vers l’Orient et séparés de leurs frères latins par les idées et les tendances. Ce n’est donc que l’apathie et l’inexplicable indifférence de l’Europe occidentale qui laissent prendre à la Russie un ascendant si absolu sur les affaires des Slaves. Les cruautés du tsar envers la Pologne sont plus que suffisantes pour éloigner de lui quiconque peut placer ailleurs une espérance. Ceux-là seuls d’entre les Slaves qui sont entièrement abandonnés de l’Europe invoquent le cabinet de Pétersbourg.

Avant d’obtenir la sympathie des Slaves libres, la Russie devra changer complètement et sa politique extérieure et son organisation intérieure. « Nous aimons, a dit un panslaviste bohême, et nous respectons nos frères de Russie, mais avec les hommes d’état russes nous n’avons rien de commun. Tant que le tsar n’aura pas rendu librement à la Pologne sa nationalité, il y aura entre les Russes et les autres Slaves un mur infranchissable. » Le cabinet de Pétersbourg est tellement convaincu des dispositions signalées par l’écrivain bohême, que, dans toutes ses négociations officielles, il ne lui arrive jamais d’invoquer le principe des nationalités, mais toujours et partout des principes d’humanité et de cosmopolitisme. Trop habile pour se laisser entraîner par le mouvement panslaviste qu’il compte exploiter à son profit, il sait agiter les opprimés sans rompre avec les oppresseurs. C’est ainsi que, dans toutes les branches de l’administration, les Allemands sont constamment