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car il marque le point de départ de la vie féconde dans laquelle cette marine allait trouver le secret de ses triomphes. Déjà connu par le combat du Foudroyant et du Pégase, sir John Jervis avait plus de soixante ans quand il se trouva placé à la tête de l’escadre de la Méditerranée. Plein de sève et de verdeur malgré son âge avancé, il apportait avec lui de vastes projets de réforme et la ferme volonté de tenter enfin sur une grande échelle l’application des idées qu’il était parvenu à faire prévaloir, vers la fin de la guerre d’Amérique, sur le vaisseau le Foudroyant.

La marine anglaise se rappelait encore avec quelle crainte respectueuse les jeunes officiers de cette époque, jaloux d’étudier de près ce modèle si vanté de bonne tenue et de discipline, montaient à bord de ce magnifique vaisseau et affrontaient le regard sévère et la grave contenance de l’austère baronnet. Enlevé à notre marine en 1758, le Foudroyant fut long-temps le plus beau vaisseau à deux ponts de la flotte anglaise et l’amiral Keppel rayait choisi pour son matelot d’arrière dans la grande journée où il rencontra sous Ouessant la flotte française commandée par M. d’Orvilliers. Quand plus, tard le Pégase tomba au pouvoir de l’escadre de l’amiral Batrington, le Foudroyant dut encore à sa marche supérieure l’honneur de cette importante capture, et l’amiral Barrington ne put s’empêcher d’exprimer son admiration pour la décision et l’activité que le capitaine Jervis avait montrées dans cette poursuite. « Quelle noble créature que ce Jervis ! Ecrivait-il à un de ses amis. N’est-il pas merveilleux qu’il ait pu prendre un vaisseau d’égale force sans perdre un seul homme dans cet engagement ? Que ne serions-nous en droit d’attendre de cette escadre, si tous nos capitaines lui ressemblaient[1] ! ». Remplir le vœu de l’amiral Barrington fut précisément l’ambition de l’amiral Jervis. Appelé au commandement de la Méditerranée, il voulut que tous les capitaines de son escadre lui ressemblassent, et que leurs vaisseaux ressemblassent au Foudroyant.

Quand, le 30 novembre 1795, la frégate qui portait Jervis vint mouiller au milieu de la flotte dont l’amiral Hotham avait, depuis plus d’un mois, remis le commandement au vice-amiral Hyde Parler, nous n’avions plus à Toulon que 13 vaisseaux de ligne, et 6 frégates. Six vaisseaux, partis de cette rade pour se rendre à Brest sous les ordres du contre-amiral Richery ; étaient entrés à Cadix ; Gantheaume croisait dans l’Archipel avec un vaisseau et quelques frégates. Rien, en ce moment, de la part du gouvernement républicain, n’indiquait l’intention de disputer la Corse aux Anglais ou d’opposer de nouvelles escadres

  1. Le Foudroyant, cependant, n’eût point pris le Pégase, commandé par le brave chevalier Du Cillart, si l’escadre de l’amiral Barrington n’eût entouré, peu de temps après le commencement du combat, le vaisseau français ; mais Jervis, par l’habileté de sa manœuvre avait arrêté le Pégase et donné aux autres vaisseaux anglais le temps d’accourir.