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Celles-ci, d’ailleurs, abondent dans le Scindh, où presque toutes les femmes pourvues de quelques attraits font commerce de leur beauté. Shikarpore, Sehwan, Hyderabad, sont fameuses par le nombre et la richesse de ces cypriennes, comme les appelle mythologiquement l’écrivain anglais, et la station militaire de Sukkur n’en était point dépourvue. Presque toutes habitaient le Sudder-Bazaar (sudder veut dire principal), et les soldats prenaient grand plaisir à les guetter lorsque, vers le soir, ces prêtresses de la Vénus indienne passaient dans la rue, allant prendre l’air, à cheval, jambe de çà, jambe de là, — et souvent par couples,— sur d’étiques ânons, leur monture favorite. Leurs larges pantalons blancs serrés à la cheville et ornés de pendeloques d’argent, leurs bizarres costumes, leurs traits cuivrés, et par-dessus tout les énormes anneaux passés dans leurs narines, en faisaient autant de caricatures excellentes. Au surplus, elles affichent le plus grand luxe. Leurs pantoufles même sont brodées en fil d’or ou d’argent, et le soir, étendues sur de petites couchettes en bois devant leurs habitations, elles ont grand soin de déchausser un de leurs pieds pour le laisser voir resplendissant d’anneaux d’or incrustés de pierreries. Les cités mahométanes, plus encore que les autres, sont envahies par ces créatures, dont un grand nombre semble n’appartenir point à la race indienne. Si ce qu’en disent les voyageurs n’est pas exagéré, il faudrait regarder Peshawer et Caboul comme les rivales de l’antique Gomorrhe ; Ceylan est la Cythère de l’Océan indien.

Quel que soit le relâchement des mœurs chez les indigènes, les Européens, sous ce rapport, ne leur cèdent en rien. Beaucoup, dépouillant tout scrupule chrétien, se donnent les joies prohibées de la polygamie, ni plus ni moins que s’ils étaient Turcs de naissance et mahométans de religion. Ils ont leurs harems, leurs sultanes favorites, et profitent amplement de la carrière ouverte à leurs passions par les molles habitudes des peuples sur lesquels ils règnent. Il ne faudrait pas croire, cependant, que les licences du soldat ou même des officiers ne soient pas ressenties par les indigènes quand elles s’adressent à des femmes dignes de respect. Les Indous, aussi bien que les mahométans, considèrent l’exposition de leurs femmes à la vue des étrangers comme le comble du déshonneur, et le baiser familier qu’un soldat envoie ou dérobe à la jeune paysanne qu’il rencontre sur son chemin laisse un ressentiment profond dans le cœur du ryot qui a surpris cet outrage involontaire. Jugez de l’effet que doivent produire à la longue « les passions terribles et la bestiale incontinence » dont un homme qui avait servi dans leurs rangs accuse hautement les soldats anglais.

« Leurs excès se sont si fréquemment renouvelés, nous dit-il, qu’aujourd’hui une pauvre femme vieille et laide, qui ne songe pas à se