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sortir en armes, des plaines de la Hongrie, d’héroïques et sauvages peuplades Croates, Valaques, Pandours, dont on apprit en même temps le nom, et les victoires. L’Autriche fut sauvée en sacrifiant la Silésie, et quand Charles VII, ce fantôme d’empereur, disparut dans la tombe, Marie-Thérèse put ressaisir et poser sur le front de son époux, François de Lorraine, la couronne que a maison de Habsbourg possédait depuis trois cents ans.

Joseph cependant grandissait au milieu de ces agitations, qui semblent avoir exercé sur lui une profonde influence. Il avait reçu du ciel une de ces ames la fois tendres et fières, un de ces esprits ardens et délicats, qui ont besoin de sympathie, de bienveillance, d’épanchement. Malheureusement son éducation fut mal faite : on a dit que Marie-Thérèse n’aimait pas son fils ; je croirais plutôt qu’elle ne le comprenait pas. Ces deux natures, en vivant côte à côte dans la plus étroite intimité, n’étaient pas cependant de la même famille, ni en quelque sorte du même siècle ; il y avait dans Joseph enfant une indépendance qui blessait l’esprit impérieux de sa mère, et une activité qui effarouchait l’esprit paresseux de son père. Le comte Bathiany, son gouverneur, essaya vainement de plier le jeune prince à cette obéissance passive que lui, vieux soldat, regardait comme la première des vertus. Joseph froissé se replia en lui-même ; il devint taciturne, opiniâtre, concentré dans ses rêveries. Ses professeurs, choisis parmi les savans les plus renommés d’Allemagne et d’Italie, semblaient avoir une tache facile à remplir, car Joseph avait une ardente passion de tout connaître : son esprit était prompt et subtil, son intelligence vaste et brillante ; mais on lui présenta la science sous son aspect le plus repoussant, tout hérissée de formules dogmatiques. Il apprit seulement plusieurs langues jusqu’à l’âge de treize ans, où le fameux Bartenstein, qui avait régné en maître à la cour de Charles VI et à celle de Marie-Thérèse, et qui venait d’être éclipsé par la faveur naissante de Kaunitz, fut chargé d’initier le jeune prince à tous les secrets de l’histoire et de la politique.

Bartenstein, rompu aux affaires, représentait à merveille la politique lente et formaliste de la cour d’Autriche ; cet homme était en quelque sorte un protocole incarné. Il rédigea pour son élève de savantes et diffuses compilations sur l’histoire politique de l’Allemagne, le droit des gens et le droit naturel. Ces traités, qui sont restés inédits, ne formaient pas moins de quinze volumes in-folio. Cependant Joseph II avait tant de curiosité dans l’esprit, qu’il se plongea avec avidité dans cette étude nouvelle, et, si l’on en croit les mémoires du temps, il puisa dans les instructions de Bartenstein cet esprit de résistance aux prétentions du saint-siège qui éclata plus tard dans tous ses actes. Le vieux ministre avait déposé dans ce livre les conseils de son expérience et les timides espérances de es rêves ; il avait écrit ce qu’il n’avait pas osé faire. L’impression produite sur l’esprit de Joseph fut profonde, et dès-lors il médita sans cesse sur les destinées de l’Autriche, songeant à lui donner un jour l’indépendance et l’unité qui lui manquaient. Quand ses études furent terminées et qu’il fut mis hors de page, le la solitude. Il recommença lui-même son éducation manquée, se laissant aller à toutes les aspirations de son ame, à tous les penchans de son esprit. Ses études favorites furent les sciences d’observation et les Commentaires de César devinrent sa lecture habituelle, le pain quotidien de son intelligence.