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l’enseignement, il conçut et exécuta un code complet et national. Malheureusement cette œuvre, qui eût demandé beaucoup de temps, fut en quelque sorte improvisée, et les principes généreux qui lui servaient de base ne reçurent pas toujours un juste développement et une application directe. L’égalité devant la loi est posée en principe par Joseph II, mais la pratique reconnaît et explique de notables inégalités entre le souverain et le sujet, l’homme et la femme, le vieillard et les enfans, le tuteur et les pupilles. La puissance législative et exécutive appartient au souverain, tous les sujets sont soumis la loi, et jouissent sous sa protection d’une entière liberté ; ils sont tous capables d’hériter des biens mobiliers ou immobiliers. Par une disposition très remarquable, les enfans naturels héritent de leurs parens restés dans le célibat. La primogéniture est abolie, le divorce établi, et le mariage n’est en quelque sorte qu’un contrat civil. Le père n’a pas la jouissance du bien de l’enfant ; il est tenu de l’administrer et d’en rendre compte comme tuteur. Cet article mettait un terme à la puissance paternelle qui s’exerçait jusque-là d’une manière absolue, et substituait à l’esprit de famille le véritable esprit social. La pénalité trop sévère fut adoucie, les délits furent divisés en trois classes délits contre l’état, contre la société, et contre l’individu. Cette classification, très logique et très nette, éclairait la marche de la justice, et dans aucune circonstance le juge ne devait, même sous prétexte d’équité, se départir du texte précis de la loi. Dans les cas douteux, le souverain décidait ; or, comme le code avait été rédigé avec une excessive concision, il y eut souvent nécessité de l’expliquer et de le compléter par des ordonnances. Ce premier travail a servi de base au code actuel de l’Autriche, promulgué par l’empereur François. Quelques panégyristes ont paru croire que Joseph Il avait aboli la peine de mort, c’est une erreur ; il a seulement restreint le nombre des cas où elle était applicable.

Pourtant ce n’était là que la moitié de son œuvre L’empereur veillait sur les intérêts matériels du pays avec non moins de sollicitude que sur ses intérêts intellectuels et moraux. Dès les premiers jours de son règne, il voulut honorer l’agriculture, cette mère nourricière, des nations, et, comme l’empereur de la Chine, il mit lui-même la main à la charrue et ouvrit un sillon. Un monument marque la place où s’accomplit cet acte, qui semble d’une affectation un peu puérile, jugé au point de vue français, mais dont l’Allemagne apprécia la signification. La production agricole fut partout développée, et les comités d’agriculture institués dans chaque province devinrent, dans les mains du gouvernement, des agens actifs, intelligens, dévoués. Ils eurent mission de surveiller et de perfectionner la culture, fort arriérée dans les provinces, de distribuer aux cultivateurs de meilleures semences, de les amener à supprimer les jachères et à varier les assolemens. Un système de primes favorisa largement la plantation des arbres fruitiers, et l’amélioration des races bovines et chevalines. Enfin, grace à l’influence bienveillante et vraiment fécondante du gouvernement, une vie nouvelle circula dans les campagnes ; avec la servitude et l’ignorance disparut aussi la misère. Le peuple des villes excita au même degré l’attention de l’empereur ; Joseph avait régénéré l’agriculture, il créa l’industrie sur des bases larges et puissantes. Le gouvernement fit des avances considérables aux mécaniciens et aux négocians : des manufacturés de coton, de laine, de glaces, furent établies sur divers points de l’empire, comme l’industrie naissante n’aurait