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n’était autre chose que l’abolition instantanée des derniers effets de la loi des céréales, qui doivent encore se prolonger trois ans, aux termes même du bill réformateur de cette session. On se souvient que, d’après cette loi, le droit d’entrée « sur les blés étrangers suivait une échelle ascendante ou descendante (sliding scale), selon que le prix bassait ou s’élevait sur les marchés de l’intérieur. Ce droit, réduit à présent à son minimum par suite de la rareté des approvisionnemens nationaux, est-il ou n’est-il pas un obstacle à l’importation ? et ne peut-on pas croire qu’il gêne l’alimentation publique en écartant les spéculateurs du dehors ? Voilà le point qui a préoccupé, ces jours-ci, l’attention à mesure qu’elle se retirait des affaires espagnoles. On a menacé lord John Russell de recommencer la ligue pour avoir raison des délais odieux qui maintenaient ce reste des anciens abus au milieu de nécessités toujours plus pressantes ; on avait même déjà un mot d’ordre, un cri de guerre ; comme le veut l’usage anglais, et l’on prêchait l’ouverture des ports. Il ne manquait pas cependant de bons motifs contre ces soudaines exigences. Le droit actuel de 4 sh. est moins un tarif protecteur pour l’aristocratie agricole qu’une source utile de revenu pour l’état. Le supprimer d’un coup, c’était enrichir les fournisseurs étrangers sans augmenter leurs apports, suffisamment attirés par le haut prix des marchés anglais ; c’était brusquer une révolution pour laquelle on avait sagement pris terme, c’était enfin favoriser par cette violence trop radicale l’inévitable réaction du parti protectioniste. Lord John Russell s’est contenté d’opposer aux pétitionnaires un argument plus décisif encore : l’urgence qu’ils invoquent n’existe pas ; les prix doivent infailliblement baisser ; trois millions de quarters sont déjà entrés en Angleterre sous la première impression que le droit qu’elle conservait fût tombé à son minimum ; sous l’empire, de ce minimum, l’affluence ira certes en croissant. La prorogation des chambres n’a été résolue qu’après qu’on a reçu la nouvelle d’un énorme envoi préparé dans les ports d’Amérique, il y a plus, au milieu de tous les bruits contradictoires du moment, il semble certain que l’abondance des grains de la mer Noire et du Danube compensera le déficit des grains de la Baltique ; les bâtimens de ce côté-là ne suffisent plus aux expéditions Nous sommes heureux de voir par ces détails que l’Europe n’a point réellement à craindre cette disette générale qu’on paraissait redouter, d’autant plus, d’ailleurs, qu’ils s’accordent avec les états qui sont arrivés chez nous au ministère du commerce.

L’Irlande profitera-t-elle de ces ressources que l’industrie des grands gouvernemens réussit à ménager pour combattre les rigueurs de la nature ? On ne saurait vraiment que penser de l’avenir d’une population qui refuse toujours de s’aider elle-même. Riches ou pauvres, tout le monde maintenant S’est fait en Irlande à cette idée que, quoi qu’il arrivât, la faute en retombait sur l’Angleterre, et que c’était à l’Angleterre à nourrir tout le monde. Le malheureux paysan, convaincu que l’Anglais lui a pris toute sa subsistance et la lui doit tout entière, profite en quelque sorte de cette calamité qui l’écrase pour ne plus même bouger sous le faix, et se réjouit d’aggraver, à force d’inertie, l’embarras de ce gouvernement ennemi contraint de lui donner à manger. Il se révolte, parce qu’on lui demande de travailler à la tâche au lieu de le payer à la journée ; il compte que l’état doit payer plus cher que les particuliers, afin sans doute que les particuliers ne trouvent plus de bras, et que l’état en ait plus à sa charge. M. O’Connell a bien