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par un réquisitoire contre le café, qui peut bien, selon lui, former des philosophes et des mathématiciens, mais qui n’inspirera jamais les poètes, et il conseille l’usage du vin comme tonique intellectuel. Il aurait dû, par la même occasion, conseiller à ses lecteurs l’usage du café comme, un excellent remède contre le sommeil.

La critique figure aussi dans les publications des sociétés ; mais ce n’est souvent qu’une apothéose des grands hommes de clocher. Il faut cependant rendre cette justice aux Aristarques de la province que, s’ils se fourvoient en matière d’art et de goût, ils ne négligent jamais le point de vue moral. Ils sont honnêtes et de bonne foi, ce qui, de notre temps, implique déjà une certaine originalité. Tous-les écarts de la littérature, toutes les doctrines pernicieuses, toutes les innovations téméraires, sont énergiquement flétris, et ils manquent rarement l’occasion de protester contre ce qu’ils appellent les désespérantes conceptions, de l’esprit de ruine. C’est ainsi que dans un rapport sur le concours ouvert en 1843 par l’académie royale du Gard sur cette question : De l’influence du christianisme sur l’esprit de famille, on trouve un blâme très sévère contre les philosophes qui, de négation en négation, en viennent à réhabiliter la métempsycose, contre les prédications de l’école socialiste et les : romanciers qui, voulant affranchir la femme, l’invitent à se rendre à O’Taïti « pour y prendre des exemples et des leçons de morale conjugale. » Les égaremens du théâtre et du feuilleton ont rencontré sur tous les points des censeurs sévères. Le succès, les éloges de la presse parisienne elle-même, n’entravent en rien la liberté des jugemens ; et, sous ce rapport, les hommes intelligens de la province sont beaucoup moins disposés qu’on ne le pourrait croire à subir l’impression de la capitale. On craindrait même de se compromettre en louant certains ouvrages qui ne trouvent que des prôneurs à Paris.

Les académies de Caen, de Dijon, de Toulouse, de Bordeaux et de Marseille sont celles qui font la plus large part à la littérature, en la restreignant néanmoins à l’histoire littéraire et à la critique. Ainsi à Caen on trouve des études sur les vau-de-vire, sur la poésie lyrique en France, sur l’imitation dans les lettres ; à Bordeaux, on propose une médaille, de 300 francs à l’auteur du meilleur mémoire sur l’histoire de la critique littéraire pendant les trente dernières années et l’influence qu’elle a pu exercer sur les travaux de l’esprit. Il est rare de rencontrer des œuvres de pure imagination, et l’on aurait tort de s’en plaindre, car dans ces sortes de productions la prose départementale est loin d’être attrayante.

La poésie, qui au XVIIIe siècle tenait le premier rang dans les volumes des compagnies savantes, s’efface aujourd’hui devant la science et les dissertations agricoles, comme les bluets et les pavots disparaissent des champs mieux cultivés pour faire place aux céréales. A le bien prendre, c’est un progrès, car, depuis la formation définitive de la langue, la province n’a jamais eu d’inspiration qui lui fût propre. Les poètes d’ailleurs commencent eux-mêmes à reconnaître qu’on ne paie point sa dette au pays avec des madrigaux souvent boiteux, et les vers sont aussi clair-semés dans les mémoires académiques que les oasis dans le désert. La moyenne est de trois ou quatre pièces au plus par volume, et l’immense majorité ne se distingue guère que par une nullité désespérante. La boutade, la fable, le conte, l’épître, l’ode anacréontique, l’élégie extra-sentimentale, en un mot tous les sujets anodins et bourgeois, contre lesquels les novateurs ont depuis long-temps invoqué la prescription, y règnent encore sans partage, et l’on s’aperçoit