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que malgré quelques vagues soupçons, tels que ceux que nous avons rapportés, l’Égypte était la seule destination dont les instructions de l’amirauté ne fissent point mention. On avait songé à Naples, à la Sicile, à la Morée, au Portugal et même à l’Irlande ; on n’avait point songé à l’Égypte. En présence de tant de suppositions différentes, Nelson ne pouvait guère compter que sur ses propres inductions, et il faut reconnaître qu’il déploya, dès le principe, pour se mettre sur la trace de l’escadre française, autant de sagacité que d’activité. Le jour où Malte capitulait, il doublait l’extrémité septentrionale de la Corse et envoyait reconnaître la vaste baie de Telamon, située au-dessous de Piombino et en face de l’île d’Elbe, point qu’il avait signalé depuis long-temps comme le plus favorable pour opérer un débarquement sur la côte d’Italie. La baie de Telamon était vide, et les Français n’y avaient point paru. Continuant sa route le long de la côte de Toscane, Nelson, le 17 juin, se présenta devant la baie de Naples. Là, il apprit que l’armée française s’était dirigée sur Malte. Dévoré d’impatience, il passa le phare de Messine le 20 juin, et remonta vers Malte à son tour depuis deux jours, notre flotte avait quitté cette île, dont elle venait de s’emparer. Cette nouvelle lui fut transmise le 22, au point du jour ; par un bâtiment ragusain qui avait passé au milieu de notre convoi. Le rapport de ce bâtiment était de nature à mettre un terme aux incertitudes de Nelson, car il lui apprenait que les Français, partis de Malte avec des vents de nord-ouest, avaient été rencontrés dans l’est de cette île, faisant route vent arrière. Combinant cette circonstance avec les documens qu’il avait recueillis et quelques données plus certaines qui lui avaient été transmises par le ministre d’Angleterre à Naples, sir William Hamilton, l’amiral anglais ne douta plus que ce ne fût vers l’Égypte que s’était portée la flotte de Brueys. Toujours prompt à prendre un parti, il se couvrit de voiles sans recourir à de nouvelles informations, et gouverna directement sur Alexandrie. Le 28 juin, il était devant cette ville, mais on n’y avait encore aperçu aucun vaisseau français, Nelson portait lui-même au gouverneur alarmé la première nouvelle du danger qui menaçait l’Égypte. A la vue de cette rade déserte, l’agitation de Nelson fut extrême. Il perdit subitement confiance dans les raisonnemens qui l’avaient entraîné si loin de la Sicile, et croyant déjà cette île envahie par l’armée française, sans mouiller, sans prendre un instant de repos, il se décida à retourner sur ses pas. Son activité le servit mal cette fois, car, s’il eût attendu un seul jour, il voyait notre flotte venir à lui. Pour remonter vers la Sicile, il lui fallut louvoyer, jusqu’à la sortie de l’Archipel, contre des vents contraires, comme ils le sont invariablement dans cette saison, et pendant qu’il était rejeté par sa première bordée sur les côtes de Caramanie, en dehors de la route de notre escadre, celle-ci, embarrassée dans sa marche par l’immense