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dire, l’érudition allemande à remonter son cours, en supprimant le droit de libre investigation dans les études philosophiques pour le borner à l’étude de la nature : « Dans un temps où la science était tout orgueil, il avait à cœur de répandre cet esprit d’humilité qui met les effets de la grace bien au-dessus de tous les mouvemens originaux de la pensée. »

Ainsi se produisait un changement inoui dans le régime des universités ; à peine avaient-elle essayé de sortir du domaine de la spéculation pure, qu’on leur interdisait la spéculation même. Une stricte surveillance pesa partout : les maîtres furent épiés, déplacés, suspendus et destitués ; suivant qu’ils se rapprochaient ou s’écartaient du credo ministériel, les livres, les journaux, les associations, furent approuvés ou défendus. Ce n’était pas seulement le radicalisme que l’on poursuivait : des hégéliens sérieux et respectés, M. Hotho par exemple, se virent refuser la concession d’un journal parce que « leur philosophie était incompatible avec l’église et l’état, tels que l’un et l’autre peuvent et doivent exister. » Au même moment, le gouvernement prussien mettait toute sa dévotion en spectacle, et en jeu dans l’affaire anglaise de l’épiscopat de Jérusalem ; il modifiait sa politique au sujet des mariages mixtes ; il autorisait les processions. Publiques et les pèlerinages ; il instituait des sœurs de la Miséricorde ; il aggravait l’obligation du dimanche ; il favorisait la société « du Christ historique ; » il gênait le développement des sociétés de lecture et des bibliothèques d’école, il s’efforçait de mettre l’instruction populaire sous la main des ecclésiastiques dits orthodoxes ; il empêchait les maîtres de se réunir dans ces congrès, jusqu’alors autorisés et fréquens, enfin il intentait des procès aux écrivains, et, comme me disait à Berlin même un homme d’un esprit aussi élégant que libéral, M. Varnhagen, les plus modérés s’estimaient heureux d’être couverts par une avant-garde moins sage, trop sûrs qu’à défaut de plus méchans, on les eût d’abord atteints.

Dans tous ces faits rassemblés, les uns odieux ou mesquins, les autres plus ou moins innocens par eux-mêmes, quiconque regardait apercevait aussitôt la trace d’une volonté suivie, et déjà certes, au bout du chemin qu’on parcourait si vite, il envisageait le but. C’était sur ce chemin dangereux que l’opinion berlinoise essayait alors d’arrêter le pouvoir ; elle avait dressé camp contre camp ; j’ai montré le camp vainqueur, visitons celui de la résistance.


La résistance à Berlin ne se manifesta pas comme elle se manifestait dans la province saxonne, où même à Kœnigsberg ; elle se produisit sous une forme peut-être moins extérieure, moins bruyante, mais plus significative et plus arrêtée. La capitale de la Prusse, n’est point une ville de grand commerce ou de grandes fabriques ; la Sprée n’est pas encore un fleuve, Il n’y a là ni l’activité industrielle, ni la richesse, ni