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l’idiome, qu’importe, puisqu’il reçoit aujourd’hui un lustre nouveau ? Toujours est-il qu’il s’est trouvé assez vivant pour suffire à un des plus heureux inventeurs de notre temps, et que, dût-il périr, les commentateurs ne manqueraient pas pour perpétuer le souvenir de cette résurrection imprévue. Ce sera un épisode du plus attachant intérêt dans l’histoire littéraire de cette époque si féconde en essais de tout genre, — épisode où rien ne manquera, car ici la poésie n’est pas seulement dans des œuvres exceptionnelles, elle est dans l’homme en même temps, dans son caractère, dans ses habitudes, dans son passé, dans ses actions de chaque jour.

L’existence même de Jasmin, maintenant qu’elle est sortie de cette ombre de la misère qui a pesé sur sa jeunesse sans la flétrir, cette existence présente, dis-je, est encore un poème plein d’une pittoresque animation. Rien n’est plus varie et, peut-on ajouter, plus richement varié que la vie de ce rapsode populaire. On a pu le voir à Paris, heureux et charmé de l’accueil qui lui fut fait ; il mettait une sorte d’amour-propre national à triompher ; il laissait éclater une joie d’enfant lorsqu’il excitait ce frémissement qui lui révélait que sa muse, bien qu’étrangère, avait des accens entendus de tous. Mais c’est dans le midi qu’il faut le suivre ; là il est sûr que chaque mot sera compris, que chaque délicatesse de la langue sera sentie ; là, point de traduction préparatoire qui trahisse sa pensée, ainsi que le disait Byron. Il n’a qu’à parler pour qu’on se plaise à l’écouter. Jasmin est le héros de toutes les fêtes méridionales ; il rend à ces fêtes un peu de leur antique poésie. Il va d’une ville à l’autre, de Bordeaux jusqu’à Béziers, et toutes lui envoient des couronnes. Celle-ci qui fut une des métropoles de la gaie science, Toulouse, lui vote une branche de laurier qu’une jeune personne se charge de lui porter ; et, comme il faut que les joies les pus pures se rencontrent toujours avec les douleurs, c’est justement à l’heure ou le poète est au chevet de sa mère mourante qu’il reçoit ce don brillant. Celle-là lui décerne une coupe d’or. C’est sous toutes les formes que la sympathie publique s’offre à lui, chacun de ces présens est un trophée et rappelle une victoire, une journée où la gloire populaire de l’auteur de Marthe fût adoptée par quelque cité nouvelle. Rien ne fait mieux comprendre la vie des troubadours d’autrefois Il y a cependant une différence entre Jasmin et cet antique pèlerin, qui quelquefois soufflait la guerre dans les manoirs féodaux, appelait les chevaliers au combat, et plus souvent promenait son heureuse et vagabonde insouciance, chantait le plaisir, charmait les cours du midi par des vers d’amour, par des disputes poétiques sur tous les raffinemens de la passion, par le récit d’aventures romanesques. Les temps ont changé ; ce n’est plus dans une cour d’amour que Jasmin peut venir amuser par ses inventions les esprits inoccupés : ces conditions heureuses n’existent plus, et le poète