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« Dans une vallée aérée, jolie, — toute farcie - de fruits, de fleurs ; — près d’une mère de bonne heure aveuvée, — avaient grandi au vent frais de la prairie, — aux chauds baiser, — deux frères jumeaux. — Hommes, ils avaient, comme du temps enfant, — même visage - et même corps. — Ils se ressemblent comme font deux étoiles, — deux marguerites, — deux boutons d’or. — Eh bien ! du cœur, ils se ressemblent plus encore. — Ce que l’un attend, l’autre aussi l’espère, — ou l’espéra. — Chacun d’eux, pour son frère, mourrait sans regret ; — pour les jeux, les plaisirs, ils vont sur la même route ; — l’un, c’est l’autre en tout : lorsqu’ils naquirent, sans doute, — l’ame de feu, — qui pour un descendit, — se partagea. »


Ces deux jumeaux, ce sont André et Paul. Leur mère était fière de tant de jeunesse et de beauté, et, tandis que tout le monde se méprenait en les voyant séparément, elle seule pouvait les reconnaître. Je me trompe : il y a quelque chose d’aussi clairvoyant que la sollicitude maternelle, c’est l’amour, lorsqu’il naît dans le cœur d’une jeune fille. André était aussi reconnaissable pour Angéline que pour sa mère. Les cœurs des deux jeunes gens se nouèrent, dit le poète, et il est aisé de deviner tous les ravissemens de cette passion naissante et encore enveloppé de mystère ; mais le bonheur est difficile à cacher, surtout, hélas ! lorsque le désespoir doit en résulter pour un autre. Oh ! alors, il se trahit plus vite encore. En voyant l’amour briller dans les regards d’André et d’Angéline, Paul, qui aime aussi la jeune fille ; devient silencieux, triste lui qui nourrissait secrètement l’espoir d’épouser Angéline dès qu’il aurait échappé à la conscription, il voit tout à coup son rêve brisé ; il languit désormais, il meurt de cette cruelle maladie d’amour ; ses joues pâlissent, sa vie s’éteint. Vainement sa mère pleure, prie, et « de son prier si triste, ainsi que le dit le poète, fait un instant reculer la mort. » Paul, emportant son secret, va périr, lorsque dans la fièvre il laisse échapper un nom, — le nom d’Angeline. Aussitôt l’œil d’André luit d’un feu étrange ; un sourire angélique effleure ses lèvres ; il voit un instant la jeune fille, puis la ramène au chevet de son frère en lui disant : « Frère, guéris, Angéline t’en prie ; regarde-la, tu verras son sourire, elle t’aime de cœur. Toute cette année, chaque jour, n’osant pas te le dire, comme une sœur elle me le disait. » L’agonisant revient à la vie, en effet, il rouvre les yeux à la lumière et retrouve insensiblement la santé. Angéline lui laisse tout croire ; se dévoue, elle aussi, et lui livre sa main, tandis qu’André, la gaieté sur le front et la mort dans l’ame, prend un habit de soldat, et va au-devant de la mitraille, ce qui n’était guère difficile à rencontrer en ce temps-là. C’est ici que finit la première pause. Ce chant, je dois le dire, me paraît le meilleur du poème ; cette action, qui semble si peu de chose, Jasmin l’a rendue saisissante par les traits de passion qu’il y a semés, par les vives couleurs