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Eustache pour y entendre des fragmens de Palestrina, de Jomelli, de Léo, de Durante, de Marcello, etc., de ces compositeurs qu’il faudrait connaître autrement que de nom, lorsqu’on se hasarde à trancher dogmatiquement sur les questions relatives à la musique religieuse.

C’est donc à Saint-Eustache que M. Zimmerman nous a convoqués, cette année, pour l’execution de son Requiem héroïque, comme il nous y avait rassemblés, l’année dernier, pour sa messe de Sainte-Cécile. Ce seul titre de Requiem héroïque indique suffisamment chez M. Zimmerman l’intention modeste de prévenir dans l’esprit de ses auditeurs toute idée de comparaison entre son ouvrage et ceux de ses devanciers. On ne saurait trop le louer d’avoir senti lui-même l’obligation de se tenir également éloigné de la mélopée calme et quelque peu monotone de Jomelli, de l’expression intime et pénétrante de Mozart, de l’entraînement épique de Cherubuni, des peintures colorées et grandioses de M Berlioz M. Zimmerman, avec le talent et l’imagination qu’il possède, a conçu une messe de mort militaire. Il s’est représenté un soldat illustre, un héros mort sur le champ de bataille, dont l’armée célèbre les obsèques avec une pompe guerrière. L’armée est parmi ses chanteurs, elle est dans son orchestre. Ses accens seront funèbres plus que lugubres, ses harmonies tantôt martiales et tristes, ses rhythmes tour à tour marqués et traînans, son instrumentation parfois sombre, mais le plus souvent brillante.

L’idée de l’auteur se manifeste dès les premières mesures de l’introduction. A diverses reprises, un sourd roulement des tambours voilés répond à des phrases brèves articulées par des instrumens isolés, puis le mouvement d’une marche se dessine dans l’orchestre, et l’Introït commence. Ce morceau, dans lequel on retrouve le caractère d’onction dont M. Zimmerman avait trouvé le secret dans sa messe de Sainte-Cécile, est savamment et longuement développé. La marche se poursuit, sans interruption ; il n’en est pas de même, des voix, qui s’arrêtent de temps en temps comme pour reprendre haleine, mais en réalité, et c’est ici un des artifices du compositeur, pour se ménager d’habiles rentrées. Dans ce cadre nettement tracé, M. Zimmerman introduit plusieurs idées indépendantes les unes des autres, et ces idées s’enchaînent au moyen de modulations si faciles et si naturelles, elles se plient si heureusement à la forme générale, que, tout en jetant une grande variété dans l’ensemble, elles font ressortir au plus haut degré l’unité de pensée qui n’est pas le moindre mérite de ce morceau remarquable.

On ne doit pas s’attendre à un long détail sur le Dies irae. Volontiers on se laisserait aller à décrire ces fragmens, si tranchés entre eux de ton, de coupe et de couleur, et qui donnent lieu par momens à des contrastes imprévus. Nous nous contenterons d’insister sur la première partie de la prose, sur ce contrepoint Alla-Palestrina, dans lequel, M. Zimmerman n’a pas craint de s’emparer du plain-chant de la liturgie. Le compositeur s’est tiré en maître de cette tentative doublement audacieuse. C’était beaucoup ici que d’éviter la sécheresse d’une étude scholastique. M Zimmerman a su donner de l’animation à cette partie de son travail, il a su faire circuler une vie inconnue dans les formes austères de la vieille école. Par une gradation toujours soutenue, il arrive à l’explosion de la phrase de plain-chant attaquée par les trompettes, reprise par le chœur et l’orchestre, auquel s’unit bientôt l’harmonie massive de l’orgue.