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tombés en leur pouvoir à Salerne, les républicains évacuèrent leur dernier refuge. Ils le quittèrent, ainsi qu’ils l’avaient stipulé, avec les honneurs de la guerre, et vinrent déposer leurs armes sur le rivage. Des embarcations les attendaient dans le port ; 14 navires avaient été disposés pour les recevoir. Ils y montèrent pleins de confiance dans la foi jurée, et, à la honte éternelle de Nelson, n’en sortirent plus que pour être livrés à la plus affreuse réaction qui ait jamais ensanglanté les marches d’un trône.

Parmi les personnes compromises dans ces tristes événemens, il en était une que quarante années de fidèles services semblaient recommander plus spécialement à la clémence royale. C’était le prince Francesco Caracciolo, vieillard septuagénaire, issu d’une branche cadette d’une des plus nobles familles de Naples. Il avait long-temps servi avec distinction dans la marine napolitaine et commandé, sous l’amiral Hotham, le vaisseau le Tancredi. En possession de la bienveillance de son souverain et d’une immense popularité, investi, en 1798, des fonctions d’amiral, Caracciolo avait mérité l’estime et l’affection des capitaines anglais au temps où la flotte britannique, oubliée de l’amirauté, saluait, à Saint-Florent, d’unanimes cris de joie l’opportune arrivée de deux vaisseaux napolitains. Quand la famille royale se réfugia à Palerme, Caracciolo l’y suivit avec son vaisseau, et ne quitta la Sicile pour rentrer à Naples qu’après avoir obtenu l’autorisation de Ferdinand IV mais bientôt, entraîné par les circonstances, il se laissa placer à la tête des forces navales de la république, et, avec quelques méchantes canonnières qu’il parvint à réunir, ne craignit pas d’assaillir plus d’une fois les frégates anglaises. Nelson, à cette époque, blâmait sans trop d’emportement la folie qu’il avait commise de quitter son maître, et semblait disposé à admettre qu’au fond du cœur l’amiral napolitain n’était pas un véritable jacobin. Dès que la capitulation fut signée, Caracciolo, mieux éclairé que ses compagnons sur l’esprit des guerres civiles, s’enfuit dans les montagnes. Sa tête fut mise à prix ; il fut trahi par son domestique et conduit à bord du Foudroyant le 29 juin, à neuf heures du matin. Le capitaine Hardy s’empressa de le protéger contre les insultes et les violences des misérables qui l’avaient arrêté, et qui, sur le pont même du vaisseau anglais, outrageaient encore leur prisonnier. L’amiral fut prévenu de cette arrestation, et Caracciolo remis à la garde du premier lieutenant du Foudroyant.

Nelson, en ce moment, était sous l’influence d’une extrême irritation nerveuse. Il se sentait dominé par une passion funeste, irrésistible, et qui devait détruire son bonheur domestique. Souvent, à cette époque, il avait exprimé à ses amis l’abattement de son ame et souhaité le repos de la tombe « Vous qui m’avez vu si rieur et si joyeux, écrivait-il à lady Parker, vous me reconnaîtriez à peine aujourd’hui. » Cet état de