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dont l’intelligence et la probité traditionnelles font honneur à la France, est un commerce d’importation aussi bien que d’exportation ; il ressemble là, sauf les proportions, au commerce anglais, et n’a donc pas été beaucoup plus lésé. En Asie-Mineure, nous rencontrons sur les côtes et dans les îles l’Angleterre et l’Autriche ; nous ne les gênons guère sur le littoral de la mer Noire ; avec l’abolition complète des monopoles et des droits intérieurs, le traité nous eût été favorable dans cette seconde région, mais les monopoles subsistent toujours, et les droits intérieurs, quoique diminués, n’ont pas été plus entièrement abolis que dans la Turquie d’Europe. Le passage du Taurus, par où se font les échanges entre la Cilicie et la Cappadoce, entre les côtes et le plateau central, le passage du Taurus est encore grevé de droits nombreux et arbitraires. Les fermiers de l’état perçoivent les anciennes taxes sur les marchandises européennes, parce que l’état s’est gardé de les mettre au courant des nouvelles conventions lorsqu’ils ont pris ces défilés à bail et sur enchère ; les gouverneurs de province refusent d’intervenir en cas de difficultés, les fermiers étant, disent-ils, indépendans par le fait de leurs baux.

Reste enfin la troisième région, la Syrie, et c’est là surtout que le commerce français est considérable, c’est là qu’il se présente avec tous les caractères qui le différencient du commerce anglais ou du commerce russe. Notre navigation est dans ces parages plus constante que dans tous les autres, et le pavillon anglais est le seul qui vienne y rivaliser avec nous ; mais, tandis que les Anglais se livrent principalement à l’importation, nous ne faisons guère qu’exporter. Or, nonobstant les réclamations de l’Angleterre au sujet du traité de 1838, ses importations n’ont pas cessé de s’accroître sous l’empire de ce traité ; la fabrique suisse a même jeté sur le marché une masse énorme de ses produits, et ce marché s’est assez agrandi pour qu’elle y trouvât place à côté de l’Angleterre. La production du pays a diminué d’autant ; l’industrie de la soie, jadis si prospère en Syrie, déclinait déjà depuis 1825, elle a presque succombé depuis 1838. Alep avait encore dix mille métiers en 1829, il n’en a plus que deux mille neuf cents ; Damas en avait de huit à dix mille, il en reste à peine la cinquième partie ; enfin tous les tissus de coton qui se travaillaient dans le Liban ont complètement disparu devant les cotonnades suisses et anglaises. Le commerce d’importation ne peut donc nier qu’il ait trouvé des dédommagemens réels aux mauvais effets du traité de 1838 ; mais les agens anglais regardent ces bénéfices comme indépendans du traité lui-même, et leurs conclusions en réponse aux questions du Foreign-Office étaient qu’il valait toujours mieux retourner au premier état de choses. Les résultats de beaucoup les plus fâcheux qu’amenât la convention de 1838 tombaient évidemment sur le commerce d’exportation, l’objet presque exclusif de nos nationaux dans le Levant. Si les 5 pour 100 à l’importation devenaient une prime établie en faveur des sujets et des protégés russes, qu’est-ce qu’il devait arriver des 12 pour 100 sur l’exportation, et comment tenir contre des charges dont nous sommes là presque seuls à souffrir le poids ? Ce n’est pas même que la Russie nous fasse directement concurrence, elle n’importe point de produits similaires, et elle n’exporte à peu près rien du sol de la Syrie ; elle n’y a point de négocians sérieux, autrement elle se fût approprié toutes les affaires ; mais, grace à la position qu’elle a gardée, elle est intervenue presque nécessairement par ses protégés entre la France et les commerçans français des Échelles. Les protégés russes,