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en suspens ; il appuya sans réserve la déclaration du grand-duc. Cette manifestation ne laissa plus de doute à la junte que la cause de Ferdinand ne fût perdue sans ressource. Elle n’en exprima pas moins sa surprise qu’un acte aussi grave que la déclaration du 16 avril n’eût pas été fait par Charles IV en personne. Alors le vieux roi, conduit ou plutôt traîné par Murat, entra en scène à son tour. Il écrivit le 19 avril à son frère, l’infant don Antonio, pour lui répéter tout ce que le grand-duc avait déclaré la veille. Il lui annonça qu’il reprenait aujourd’hui même possession de la couronne, confirmait provisoirement les pouvoirs de la junte suprême, et lui ordonnait de faire connaître sa résolution à ses peuples. La junte n’était plus libre ; son autorité était méconnue, avilie ; elle n’eut point la folie de braver un pouvoir qui étreignait dans ses mains toute l’Espagne. Elle se borna à demander qu’il lui fût permis d’informer Ferdinand de ce qui se passait, que l’acte de protestation de Charles IV ainsi que la déclaration du 17 fussent tenus dans le plus grand secret, et que, pour le moment, ce prince s’abstînt d’exercer aucun acte de souveraineté. Murat et le vieux roi consentirent à tout. Il fut convenu entre eux et la junte que Charles IV et la reine se rendraient à Bayonne pour conférer avec leur fils, et régler, sous la médiation de l’empereur, tous leurs différends. Le 25 avril, les vieux souverains se mirent en route avec la fille du prince de la Paix et arrivèrent le 30 à Bayonne. Le prince de la Paix y était déjà depuis quelques jours. Ce personnage pouvant être un instrument utile entre les mains de l’empereur, Murat avait réclamé son élargissement. D’abord il ne put l’obtenir ; la junte n’avait pas cessé d’alléguer l’insuffisance de ses pouvoirs. Le 20 avril, il réitéra la demande, menaçant, en cas de nouveaux refus, de forcer la prison du prince et de le délivrer lui-même. Ces menaces effrayèrent la junte ; elle céda enfin : le prisonnier fut tiré du château de Villa-Viciosa, et remis, le 21, entre les mains du grand-duc de Berg, qui, sans perdre un seul jour, le fit partir sous escorte pour Bayonne.

Dès que Ferdinand et don Carlos surent que les vieux souverains venaient d’arriver, ils s’empressèrent d’aller leur offrir leurs respects. Charles IV se tourna vers son second fils et lui dit : « Bonjour, Carlos. » Il n’eut pas une parole pour Ferdinand. Le jeune prince voulut le suivre ; alors le vieux roi, se retournant, l’arrêta d’un air courroucé et lui dit : « N’avez-vous pas assez outragé mes cheveux blancs ? » Ferdinand, triste et confus, s’éloigna, et toute espérance s’éteignit dans son cœur.

De son côté, Napoléon avait quitté le château de Marac et était venu rendre visite à Charles IV et à la reine. Sa présence jeta le vieux roi dans un grand trouble. Charles s’approcha de lui, éleva ses bras et s’écria avec une extrême émotion : « Ah ! mon ami ! » Puis ils s’embrassèrent avec effusion. L’entretien dura plus d’une heure. Charles IV