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2,300,000 habitans ; c’est la proportion ordinaire. Pour les faire vivre de la façon accoutumée, il fallait, à raison de 2 hectolitres 1 quart, ce qui est la plus faible ration pour un Anglais, 5,175,000 hectolitres de plus. Comme cette quantité de grains doit être nette de la semence, et que les fabriques usent, pour l’encollage par exemple, une certaine quantité de farine, dont l’accroissement doit être pris en considération, c’est un surcroît de production de 6 millions d’hectolitres qu’il faudrait tous les dix ans à la Grande-Bretagne. Si elle avait la prétention de se suffire, à chaque période décennale elle devrait ensemencer en froment une superficie de 260,000 hectares de plus ; en tenant compte du reste de l’alimentation, de l’orge pour la bière, des légumes, du bétail, ce serait la mise en rapport de 1 million d’hectares de plus qu’il lui faudrait organiser. Dans un pays aussi bien cultivé déjà, c’est tout simplement impossible. Il n’y a plus à défricher rien qui vaille dans la Grande-Bretagne. On y a déjà mis en céréales trop de mauvaises terres, ce qui a eu pour effet, ainsi que Ricardo l’a si bien exposé, de hausser le prix des grains au-delà du raisonnable. Sans doute en Angleterre, comme partout, il est possible d’améliorer encore la culture de quelques domaines, de perfectionner même celle du pays tout entier, car, malgré la prodigieuse supériorité de l’agriculture britannique sur celle du reste du monde, il y a place encore pour des progrès nouveaux, la perfectibilité des arts n’a pas de bornes ; mais il serait insensé d’attendre du seul perfectionnement de l’agriculture nationale en Angleterre la nourriture de la population supplémentaire qui vient s’y presser. L’Angleterre était donc forcée de s’adresser franchement à l’étranger. Une partie des propriétaires, appréciant sainement la situation et cédant à l’ascendant du ministre, y a donné son assentiment. Le reste a résisté ; mais avec l’appui que lui donnait l’opinion publique, admirablement préparée par M. Cobden et ses dignes émules de la ligue, sir Robert Peel les a vaincus.

Voilà donc la liberté du commerce des grains instituée en Angleterre. La conséquence est que la culture des céréales dans les îles britanniques cessera de s’étendre à des terrains qui n’y étaient pas propres, et qui, donnant des récoltes très variables parce qu’ils s’affectaient davantage des hasards des saisons, causaient dans les prix une fluctuation fâcheuse. La Grande-Bretagne continuera de produire des céréales en grande quantité ; cependant ce sera par l’importation qu’elle subviendra aux besoins de son surcroît de population. La moyenne de l’importation de l’Angleterre en froment a été, pendant les sept années closes au 1er janvier 1845, de plus de 6 millions d’hectolitres. Passons par-dessus la disette actuelle, supposons-la terminée. L’Angleterre importera alors non plus 6 millions d’hectolitres, mais, selon toute apparence, dix ou douze, autant qu’elle pourra les trouver, et puis toujours