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Des mots sans suite s’échappèrent bientôt de la bouche du Biscayen ; les noms de sa mère et de sa patrie se confondaient sur ses lèvres avec celui de la femme qui lui coûtait la vie. Tandis que le monde extérieur s’obscurcissait visiblement à ses yeux, les douces et saintes impressions de l’enfance, les premières gravées au cœur de l’homme et les dernières qui s’en effacent, jetaient seules encore quelques rayons au milieu des ombres croissantes de sa pensée. Tout à coup, se tournant vers moi, don Jaime ajouta d’une voix plus distincte

— Vous irez voir ma mère, n’est-ce pas ?… Que ce soit dans un an, que ce soit dans dix ans… Vous lui direz, pour la consoler, que je meurs riche à millions ; mais vous lui cacherez que c’est sur un lit semblable.

Je m’inclinai en signe d’assentiment, et don Jaime employa le peu de forces qui lui restaient à m’indiquer où je trouverais sa demeure, près de Vergara, en Biscaye. Je promis de nouveau d’accomplir son dernier voeu. Un vague sourire se dessina sur les lèvres du mourant qui s’agitaient pour proférer un remerciement et ne purent que murmurer une fois encore le nom de sa mère. Ce fut sa dernière parole. J’essuyai avec un coin de son manteau l’écume rougeâtre qui teignait ses lèvres, et je fermai ses yeux, dilatés par sa courte agonie. En ce moment je me sentis toucher l’épaule. Je me retournai. Un homme que je n’avais pas vu entrer était debout derrière moi. A sa canne, je reconnus un alcade.

— Eh ! seigneur cavalier, me dit-il, vous donneriez bien quelque chose, je pense, pour venger la mort de ce jeune homme ; mais, soyez tranquille, la justice voit tout.

— Quand il est trop tard, dis-je à demi-voix.

— C’est un ami, un parent, un frère peut-être ? reprit l’alcade. J’étais trop au fait des lois mexicaines pour me laisser prendre à ce faux semblant d’intérêt et de compassion, et je gardai le silence[1].

— Eh bien ! voyons, j’attends votre déclaration, poursuivit-il d’un air engageant.

— Ma déclaration, dis-je, seigneur alcade, la voici (et je demandai intérieurement pardon au cadavre étendu devant moi du mensonge que j’étais forcé de proférer) : je déclare ne pas connaître, n’avoir jamais connu ce jeune homme.

L’alcade, désappointé, ne tarda pas à vider les lieux.

— Ah ! seigneur cavalier, dit le huesped, qui avait assisté à cette conférence,

  1. Reconnaître un cadavre ou se porter partie civile contre l’assassin est à peu près tout un au Mexique : c’est faire les frais d’une justice aussi coûteuse que dérisoire. Il n’y a pas long-temps encore qu’à la Havane on fermait toutes les portes d’une rue dans laquelle un assassinat se commettait. Au Mexique, on se contente de se sauver.