Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1092

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un véritable parti libéral est plus grave encore, et tous ces événemens semblent être un retour de fortune. Si, en effet, il y avait encore un remède aux maux causés par l’intolérance du magyarisme, où pourrait-on le chercher avec plus de sûreté que dans le triomphe prochain et complet des doctrines professées par les progressistes ? Après les ménagemens dus à leur langue nationale, quelle mesure serait plus agréable aux Slovaques et aux Roumains, si tristement accablés par le poids des charges féodales, que l’émancipation politique et civile des paysans ? Les Illyriens, qui ont parmi eux fort peu de seigneurs magyares, ne sentent pas, il est vrai, aussi vivement la nécessité de cette rénovation sociale, mais on ne peut pas dire, malgré le vote conservateur de leur représentation en diète, qu’ils l’accepteraient avec déplaisir. Loin de là, selon toute vraisemblance, leurs magnats et leurs députés ne se plaindraient point de se voir battus sur ce terrain de l’immobilité où ils tiennent à regret la position que l’Autriche leur a assignée. Combien dans tous les cas la liberté de la presse, qui figure aussi sur le programme des progressistes magyares, combien le droit de parler et d’écrire librement en faveur de la nationalité illyrienne n’aurait-il pas d’avantages et de charmes pour les patriotes croates !

Oui, si le magyarisme pouvait se soustraire aux périls politiques qu’il s’est créés par ses prétentions sans justice et sans raison, ce serait par le bienfait d’un changement rapide de la législation civile, lequel, à défaut de l’unité nationale désormais impossible, laisserait encore subsister une certaine unité sociale et adoucirait peut-être ainsi l’animosité des races en détruisant celle des castes.


III.

Lorsque je voyais à Pesth et à Bude les illusions conservées encore en dépit de l’expérience par quelques chefs du mouvement magyare, par la jeunesse, par le clergé, je ne pouvais me défendre d’un sentiment d’inquiétude, et je ne me dissimulais pas combien la réconciliation des peuples de la Hongrie présente d’obstacles. Je ne pouvais surtout m’empêcher de trembler pour l’avenir des Magyares, dont je ne désirais point la ruine, malgré les vœux que je formais pour les Illyriens, les Roumains et les Slovaques. On ne saurait nier, je l’avouerai, que la nationalité magyare, considérée en dehors de ces conflits funestes, ne se soit rajeunie et fortifiée par le travail qu’elle a accompli sur elle-même. Réduite à la décrépitude par le latinisme et le germanisme, elle a repris une physionomie nouvelle avec le sentiment de sa personnalité. Le principe de vie et de mouvement qu’elle a retrouvé ainsi au fond de sa conscience a pénétré si profondément dans tous les esprits, que désormais il ne semble devoir céder qu’à la pression d’une grande force matérielle. En un mot, pour que l’individualité de la race magyare puisse disparaître, il faut que cette race soit brisée une seconde fois sur les champs de bataille et tenue en sujétion par une main puissante. Alors nième, son originalité, qui n’a en aucun lieu du monde d’affinités connues, son orgueil, qui, jusque dans la servitude, l’entretient de rêves grandioses, son sang asiatique, qui semble craindre le contact du sang européen, lui donneraient contre un vainqueur une grande force d’inertie. Ainsi, tout porte à le croire, la nationalité magyare ne doit périr qu’avec la race elle-même.