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maigre existence ; il n’a plus qu’à partir avec ses enfans sur les bras pour se chercher des paroissiens qui veuillent bien le nourrir. Si l’on entend appliquer à la rigueur ce qu’il y a d’extrême dans cette redoutable tolérance de l’édit du 30 mars, je suis fermement persuadé qu’avec l’état actuel des ames, on suscitera plus d’agitations qu’on n’encouragera d’hypocrisies.

L’armée, la bureaucratie, cette armée de la paix, n’ont point en elles de ces passions qui remuent le monde des théologiens. Disciplinées au nom de l’honneur militaire ou de l’ordre civil, elles découvrent moins volontiers leurs inclinations courantes, parce que ces inclinations ne sont jamais si vives. L’une est au fond plus naturellement libérale ; l’autre n’oublie jamais qu’elle porte « l’habit du roi, » et la loyalty britannique tient le haut bout dans ses sentimens. Les deux cependant se touchent par plus d’un point ; elles se prêtent des hommes, elles s’empruntent réciproquement des méthodes. Les deux rappellent encore souvent, par une allure commune, ce vieux temps à peu près passé pour qui ne leur appartient pas, ce temps de rigueur et de raideur, où, comme dit Frédéric, « pas un Prussien n’avait plus de trois aunes de drap dans son habit, ni moins de deux aunes d’épée pendues à son côté. » Les deux enfin se forment toujours par cette lente et solide éducation dont nous n’apprécierons jamais assez l’énergique effet.

La Prusse est la seule des cinq grandes puissances dont l’armée soit restée tout-à-fait en paix depuis 1815. L’Autriche a les régimens de ses frontières toujours en haleine, toujours en observation ; elle a l’Italie. La Russie s’est exercée sur les champs de bataille de la Turquie, de la Pologne et du Caucase ; l’Angleterre, dans l’Inde ; la France, en Afrique. La Prusse ne pouvait guère rencontrer sur son chemin pareille occasion de gymnastique, et c’est un sérieux désavantage ; mais elle a compensé tant qu’elle a pu ce défaut d’expérience. Elle a pris ses soldats sans exception dans tous les rangs des citoyens, et, proscrivant les abus du remplacement, elle a mis le fusil aux mains de la population tout entière ; elle a organisé la permanence des levées en masse. Ses corps actifs ne sont que l’avant-garde de la Landwehr, et derrière la Landwehr l’étranger trouverait les rangs serrés du Landsturm. Pour placer enfin la réflexion à côté de cette ardeur guerrière qu’elle tient en réserve, la Prusse oblige ses officiers au plus minutieux apprentissage. Formé de bonne heure à la pratique aussi bien qu’à la théorie, fier de son état, orgueilleux de son drapeau, constamment pénétré du respect de lui-même, généralement froid et serré, mais instruit et poli, l’officier prussien se reconnaît aussitôt entre toutes les troupes allemandes.

La bureaucratie éprouverait sans doute, au moment où la lumière se ferait dans ses domaines encore impénétrables, cette première surprise, que le premier coup de canon causerait peut-être dans la jeune