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ne lui fait pas plus de grace sous sa lourde et matérielle enveloppe de 1847 que sous sa légèreté frivole de 1817. A l’élégance près, c’est bien la même à ses yeux ; et, lorsque tant d’autres, et des plus vaillans, se sont lassés à la peine et ont renoncé dans l’intervalle, il semble avoir conservé contre elle sa jeune et chevaleresque ardeur. C’est que M. de Rémusat, par instinct comme par doctrine, croit que la stagnation est mortelle à la nature de l’homme ; il pense qu’elle corrompt autant qu’elle ennuie, et il prendrait volontiers pour sa devise cette parole du grand promoteur Lessing, laquelle peut se traduire ainsi : « Si l’Être tout-puissant, tenant dans une main la vérité, et de l’autre la recherche de la vérité, me disait : Choisis, je lui répondrais : O Tout-puissant, garde pour toi la vérité, et laisse-moi la recherche de la vérité. » - Marcher vaillamment et toujours, dût-on même ne jamais arriver, c’est encore après tout une haute destination de l’homme[1].

Mais, si précoce que fût le jeune Rémusat, nous l’avons un peu devancé. Un jour il sort assez à contre-cœur du salon de sa mère, et le voilà qui entre au collége. Il fit d’excellentes études au Lycée Napoléon, sans pourtant obtenir plus de deux accessits au Concours. Durant la dernière année, en rhétorique, il avait eu d’assez grands succès en discours français pour être le candidat le plus désigné à la couronne universitaire ; mais les événemens politiques de 1814 lui firent quitter le collége avant la fin de l’année. Ce fut un autre brillant élève de la même classe, M. Du mon, qui remporta le prix.

Tout en suivant ses études, le jeune homme, on le pense bien, ne s’y astreignait pas. Son esprit sortait du cadre et se jouait à droite et à gauche sur toutes sortes de sujets. Pourtant il était, durant ce temps-là, sous la direction spéciale d’un maître bien docte et de la bonne école, M. Victor Le Clerc. M. Le Clerc a composé, comme chacun sait, de savans ouvrages ; il en a fait de spirituels. M. de Rémusat peut en partie s’ajouter à ces derniers[2]. Sous ce régime d’une instruction forte qui laissait subsister l’élan naturel, il se développait sans contrainte ; tout en acquérant un fonds d’études solide, son esprit se tenait au-dessus et s’émancipait. Mais il a dû à cette nourriture première, si bien donnée et si bien reçue, son goût marqué pour les nobles sources de l’antiquité, sa connaissance approfondie de la plus belle et de la plus étendue des langues politiques, cet amour pour Cicéron qui est comme synonyme

  1. Voir, pour les curieux, et comparer avec le mot de Lessing l’épigramme XXXIIIe de Callimaque, et aussi ce que dit Pascal de la chasse et du lièvre : « On n’en voudroit pas s’il étoit offert. »
  2. Comme souvenir littéraire du temps de cette éducation, j’ai entre les mains une rare brochure, un petit poème (Lysis) censé trouvé par un jeune Grec sous les ruines du Parthénon, et dont M. J.-V. Le Clerc se donnait pour éditeur (chez Delalain, 1814). Ce poème est, en quelque sorte, dédié par l’épilogue à Mme de Rémusat la mère : Θεὰ γὰρ ἤ μοὶ γ’ ἐλπὶς ἡδεῖ’ εὖρετο (Thea gar ê moi g’elpis hêdei’ eureto)… C’est ainsi que les Ménage, les Boivin et les La Monnoye avaient autrefois célébré Mme de La Fayette ou Mme d’Aguesseau.