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On comprend déjà sur quelles méprises repose la comédie de M. Gutz kow ; mais ceci n’est rien, nous en verrons bien d’autres. — Le second acte se passe chez un des ministres de Louis XIV, M. de Lionne. Molière est venu plaider pour son œuvre, car déjà l’intrigue s’agite, et deux cent soixante-dix bourgeois de Paris, ameutés parle président Lamoignon, ont signé un placet qui demande au roi la défense expresse de représenter Tartufe. Molière a reçu de M. de Lionne une réponse favorable, lorsque Lamoignon, arrivant après lui, appelle à son aide toutes les figures de la rhétorique, fait apparaître le fantôme de la religion détruite, le génie de l’impiété, le démon de l’anarchie, et obtient du ministre épouvanté l’interdiction de la pièce maudite.

C’est chez Louis XIV que s’ouvre le troisième acte. Le roi est de bonne humeur, et plaisante agréablement le ministre de la police sur sa prétention à juger les affaires littéraires. Le médecin Dubois, le poète Chapelle, le notaire Lefèvre, ont beau invoquer la protection du monarque contre cet impudent comédien qui ne respecte ni les médecins ignorans, ni les gens de loi rapaces, ni les poètes ridicules ; ils ont beau s’unir à Lamoignon et associer leur cause à celle de la religion outragée, toutes leurs invectives, toutes leurs lamentations sont vaines ; Louis XIV a décidé que Molière jouerait Tartufe. Lamoignon est désespéré, mais bientôt son courage se relève ; il a surpris un secret qui peut lui rendre la victoire. Le roi aime et poursuit Armande Béjart. Irrité de la résistance qu’il rencontre chez une comédienne, l’orgueilleux prince brûle de découvrir le rival qu’on lui préfère ; ce rival, c’est Molière, Molière aimé d’Armande et qui n’attend pour l’épouser que le succès de Tartufe. Voilà le secret de Lamoignon, et certes il n’en fallait pas tant pour enflammer la colère du roi. Le chef-d’œuvre du poète est de nouveau frappé d’interdiction. Or, des bourgeois de Paris venaient remercier Louis XIV d’avoir permis la représentation de Tartufe ; ils ne trouvent plus que Molière désolé, et le grand artiste, préparant sa vengeance, s’écrie avec une solennité de mélodrame : « Eh bien ! j’écrirai sur la toile du théâtre, j’écrirai sur les tables de l’histoire, et ce sera le commencement de la lutte ; j’écrirai : Parisiens, je voulais représenter devant vous la comédie de Tartufe ; mais le président Lamoignon ne veut pas qu’on le joue ! »

Allons maintenant au théâtre, dans la loge d’Armande Béjart. C’est le soir. Tandis que Molière et Armande sont occupés sur la scène, Lamoignon, introduit par une soubrette, vient poursuivre cette petite Madeleine qu’il a rencontrée chez Chapelle, et de qui il a appris le prochain mariage de Molière et d’Armande. Si Lamoignon s’acharne avec tant de fureur contre le chef-d’œuvre du poète, ce n’est pas seulement parce que Lamoignon, dans l’esprit de M. Gutzkow, représente l’hypocrisie et l’imposture ; l’écrivain allemand ne s’est pas contenté d’outrager