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et tout à côté il les analysait, il s’en rendait compte. Dans cette mesure ; nous le possédons au complet, ce me semble. Tel il est, tel il sera. Chez lui, la chanson, ou, si vous aimez mieux, la raillerie fine s’en va accoster la métaphysique, la prendre sous le bras dans ses heures de récréation, si bien qu’on ne sait par momens laquelle devance et a le pas sur l’autre. Et d’autre part l’analyse aussi, l’inexorable analyse, accoste toujours sa conviction ou sa passion, et l’observe et la décompose chemin faisant, au point de la déconcerter, si celle-ci n’était bien ferme et bien décidée à persister quand même. Tout cela marche et coexiste sans se détruire. Figurons-nous bien le cortége : la plus pénétrante des analyses à droite, la plus fine des railleries à gauche, et pourtant il y a une ardeur, une conviction, qui, chez cette nature élevée, a la force de cheminer entre ce double accompagnement.

On le comprend toutefois, pour atteindre jusqu’ici à toute sa destinée, soit politique, soit littéraire, pour remplir, comme on dit, tout son mérité, qu’a-t-il manqué à une supériorité si constante ? Rien qu’un défaut peut-être. Mais, certainement, une qualité de moins aurait mis ses autres qualités plus à l’aise. Elles se sont tenues en échec l’une l’autre. Et qu’importe ? dirons-nous, et dira comme nous quiconque ne se règle pas sur le paraître. Ce qui a pu nuire ainsi à l’entier développement extérieur et à l’effet solennel de l’ensemble aura tourné plus sûrement au profit de la distinction exquise, de la connaissance infinie et de l’agrément. Il y a en un seul plusieurs hommes qui pensent, qui jouent, qui s’animent, qui se prennent à partie, qui se répondent, (chose plus rare !) qui vous écoutent et qui vous répondent aussi, et le tout fait une réunion délicieuse, totam suavissimam gentem, disait Voltaire en parlant de la plus aimable des sociétés philosophiques de sa jeunesse.

Quoi qu’il en soit de ce charme intérieur, M. de Rémusat a beaucoup agi au dehors, beaucoup influé, beaucoup écrit, sans parler de l’avenir ouvert qui lui reste. Voyons-le à l’œuvre dans le passé ; il s’y est mis de bonne heure et voilà près de trente ans. Son début fut du côté de la politique. Depuis la fin de 1816, la Restauration marchait dans le sens de la Charte et se rapprochait lentement du libéralisme. L’ordonnance du 5 septembre, en brisant la chambre de 1815, avait rendu au gouvernement de Louis XVIII la liberté de son action. Pendant les quatre années qui suivirent, il y eut une tentative sérieuse, sincère, pour poser les bases du régime constitutionnel, et le mettre en équilibre au milieu des violences des partis. Ce furent même, à les envisager de loin, les seules années durant lesquelles la Restauration aurait pu réellement se fonder par ses propres mains et s’affermir. Le ministère Villèle, en venant, dès 1821, reprendre à sa manière l’œuvre de la chambre de 1815 et en se prolongeant six ans, perdit tout ; il mit la méfiance et la désaffection dans tous les rangs. Il n’y eut plus, après ce long et détestable