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Cette renaissance de la littérature religieuse du moyen-âge, qui coïncide avec les études des archéologues sur l’art chrétien et les dithyrambes des poètes sur les cathédrales, a déjà fait son temps. On a reconnu que, pour convaincre les sceptiques du XIXe siècle, il fallait d’autres argumens que ceux qui servaient à combattre Arius ou Pélage, les manichéens ou les païens. On s’est donc rapproché un peu de notre époque, et les apologistes du siècle de Louis XIV, Bossuet, Fénelon, Fleury, Pascal, ont eu, non pas une résurrection, car l’oubli n’était jamais venu pour eux, mais une popularité nouvelle qui s’est révélée par une succession rapide d’éditions. Il semblait qu’on voulût offrir à notre génération inquiète tous les élémens d’une enquête solennelle sur les preuves du christianisme.

Malgré cette résurrection des vieux livres, les apologistes contemporains sont fort nombreux, et ils se divisent en deux classes, les ecclésiastiques et les laïques ; par une bizarrerie singulière, les ecclésiastiques sont en minorité. Nier la raison, s’insurger contre la science, récuser l’histoire et surtout déclamer contre la révolution française, telle est trop souvent la tactique des apologistes du clergé. On peut citer comme exemple M. Lacordaire, qui voit dans la raison une fille de Satan. La science est souvent traitée comme la raison, et un écrivain ecclésiastique est allé jusqu’à défendre récemment le système de Ptolémée contre celui de Copernic. Quant aux apologistes laïques, ils forment la plus étrange église qu’on puisse imaginer, et l’on voit figurer parmi leurs docteurs des poètes, des femmes, des auteurs dramatiques, des ingénieurs, des juges de paix, des avocats, des officiers des armes spéciales. Leurs ouvrages se produisent avec les allures les plus bizarres ; ils rechristianisent les décatholiseurs, composent des préservatifs contre l’incrédulité, des dynamiques intellectuelles dans lesquelles ils appliquent les formules algébriques à la théologie, comme autrefois les alchimistes les appliquaient aux sciences occultes. Dans les livres du XVIIe siècle, on sent que les apologistes s’adressent à des hommes convaincus, avec calme, avec sérénité, sans craindre de rencontrer jamais la négation absolue. Aujourd’hui au contraire, en tout ce qui touche au dogme, on semble éviter les mystères, comme en philosophie on évite les grands problèmes, parce que d’un côté comme de l’autre on sent la certitude échapper. On discute avec emportement, comme il arrive toujours quand on redoute la contradiction ; enfin, au lieu de démontrer le catholicisme, on s’attache, en partant de l’Essai sur l’indifférence, à démontrer la nécessité de la foi.

Les mystiques, qui ne s’adressent qu’au sentiment, sont beaucoup mieux accueillis que les apologistes, qui s’adressent à la raison, et ici encore le grand succès appartient aux morts des vieux âges. Le Château intérieur, l’Horloge de l’ange gardien, l’Aimable virginité, le Gémissement de la colombe, le Zodiaque chrétien et autres opuscules du même genre écrits au XVIe ou au XVIIe siècles occupent dans les tables du Journal de la librairie une place beaucoup plus grande que les livres les plus populaires des grands écrivains. C’est ainsi qu’il a été fait depuis 1827 trente-huit éditions du chanoine Boudon, mort archidiacre d’Évreux en 1702. Quant aux mystiques modernes, il semble qu’ils ne savent plus converser avec Dieu. Des hauteurs infinies de l’ascétisme ils sont tombés dans une dévotion étroite et mesquine ; ils n’ont plus la passion du ciel, mais la passion des confréries. Descendans directs des porteurs de rogatons du