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Il est encore une autre famille d’hommes intrépides dont les noms ne sont point recueillis par la science, mais qui n’en servent pas moins ses intérêts, tout en se vouant à une autre cause : nous avons nommé les missionnaires. L’important recueil intitulé Lettres édifiantes a reçu de nos jours de nombreuses additions, car les apôtres du catholicisme français sont toujours à la tête du prosélytisme moderne ; mais il est à regretter que l’histoire des missions contemporaines soit dispersée et souvent en fort triste voisinage dans une foule de livres mystiques peu connus du public lettré. Il y aurait tout à la fois profit pour les connaissances positives et satisfaction pour l’honneur national à, donner à cette histoire la consécration d’une publication sérieuse.

Tandis que la passion de l’inconnu, l’attrait du danger et les intérêts les plus divers entraînent les explorateurs les plus aventureux dans les solitudes de l’Océan, les déserts ou les forêts vierges, la simple curiosité, le désir de connaître des lieux illustrés par de grands souvenirs, le charme des beaux paysages et même l’attrait des bonnes tables peuplent chaque année toutes les routes de l’Europe d’un nombre considérable et toujours croissant de voyageurs qui courent le monde civilisé sous la sauvegarde du passeport par les chemins de fer ou les voitures publiques, et s’arrêtent là où finissent les hôtelleries et les routes carrossables. Cette seconde espèce forme le genre touriste, qui lui-même se subdivise en une foule de variétés, telles que le touriste romantique, le touriste archéologue, le touriste politique, etc. De ces nombreuses variétés sont nés les Guides, les Promenades, les Séjours, les Scènes et les Souvenirs de telle et telle contrée, et enfin les Impressions de voyage, dans lesquelles le touriste parle de tout et principalement de lui-même. On a publié sur tous les pays un si grand nombre de descriptions, on a porté sur chaque contrée tant de jugemens divers, qu’il serait aussi difficile, on l’a dit avec raison, de trouver aujourd’hui en Europe un coin de terre dont on n’ait point parlé, que d’imaginer un nouveau paradoxe sur un vieux sujet. Scientifiques, sérieuses ou légères, dictées par l’observation ou par la fantaisie, les relations des voyageurs, comme les excursions des touristes, ont obtenu de notre temps un succès de vogue. Elles forment, avec les romans, le fonds habituel des cabinets de lecture, et donnent, en moyenne, quatre-vingts ouvrages par année, soit douze cents publications en quinze ans.

Ce travail d’exploration que les géographes et les voyageurs ont accompli de notre temps sur tous les points du globe, les érudits à leur tour l’ont exécuté à travers tous les siècles. Montesquieu reprochait aux historiens « d’incliner l’histoire à leur fantaisie, de contourner et de tordre la narration au biais de leurs caprices ; » mais l’on peut croire qu’il eût porté un jugement moins sévère, s’il avait eu à parler de notre époque. Depuis cinquante ans, en effet, le domaine de l’histoire s’est singulièrement agrandi. Cette science, long-temps égarée dans les systèmes, s’est rapprochée des sciences positives par la stricte observation des faits. Elle s’est éclairée par l’expérience de nos révolutions ; elle s’est alliée avec la philologie, avec la politique, avec la jurisprudence, avec la philosophie. Elle ne se contente plus, comme par le passé, d’élever des monumens à la gloire de quelques hommes, de s’enfermer dans les limites d’un seul peuple ; elle étudie tout à la fois l’homme, le peuple, l’humanité ; elle cherche, en signalant les fautes du passé, à enseigner la prévoyance de l’avenir. Moins accessible à la passion,