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si l’on veut, l’histoire de M. Lacretelle, on ne rencontre guère, depuis quelque temps, que des publications pittoresques ou populaires qui sont de nature à fausser la vérité plutôt qu’à la mettre en lumière. Simultanément exploitée par les poètes, les dramaturges, les romanciers et les feuilletonistes, l’ère napoléonienne finira par devenir, comme l’ère de Charlemagne, la source d’un cycle légendaire, et déjà même elle a été l’objet de tant de récits apocryphes, qu’on a pu démontrer dans une brochure pleine de fine raillerie Comme quoi Napoléon n’a jamais existé.

Les mémoires, qui forment depuis trois siècles une des branches les plus importantes de notre histoire nationale, ont été aussi fort nombreux et fort goûtés, et, puisque nous avons nommé ce genre de littérature qui n’appartient qu’à la France, et dans lequel elle n’a été surpassée par aucune autre nation, il n’est peut-être pas sans intérêt d’en retracer rapidement l’histoire. Inconnus de l’antiquité ou du moins exécutés, comme les Commentaires de César, sur un plan tout différent, les mémoires naissent chez nous au XVIe siècle et succèdent aux chroniques. Le travail révolutionnaire qui s’accomplit dans la société s’étend jusqu’à l’histoire. Au moyen-âge, les chroniqueurs racontent sans discuter et même sans penser. Au XVIe siècle, les auteurs de mémoires, tout en suivant à travers les différentes scènes le drame des événemens, défendent sans cesse des idées, des principes politiques, des croyances religieuses. Ils sont violens, sceptiques, crédules, passionnés ; ils cherchent à se consoler de la dureté des temps par les libertés de la pensée, de la tyrannie des partis par l’audace de la plume, et c’est dans les pages qu’ils ont écrites qu’on trouve le tableau le plus dramatique et le plus vrai de la grande époque de la renaissance. Cette veine féconde se continue dans le XVIIe siècle : chaque annaliste prend son personnage, son événement. Les femmes, la duchesse de Nemours, Mme de Motteville, font pénétrer dans l’histoire les graces de l’esprit ; Saint-Simon, par ses portraits, se place à côté de Tacite. On cherche avant tout, en parlant des autres et de soi-même, la sincérité, et, comme dit Voltaire, « tous les mémoires de ce temps sont éclaircis et justifiés les uns par les autres, ils mettent la vérité dans le plus grand jour ; » mais, pendant la régence et sous le règne plus triste encore de Louis XV, la sincérité disparaît avec l’habileté narrative. C’est, pour ainsi dire, l’avénement des mémoires apocryphes ; on n’altère pas seulement les faits, on place le mensonge sous le patronage du nom de ceux mêmes dont on travestit la vie. Courtilz de Sandras, l’auteur de ces mémoires de d’Artagnan qui ont fourni le sujet des Trois Mousquetaires, avait déjà, sous le règne de Louis XIV, ouvert la voie. La Beaumelle donna bientôt les Mémoires de madame de Maintenon. Ces supercheries, en se répétant sans cesse, jetèrent sur le genre une défaveur méritée, et ce qui s’est fait de notre temps est venu ajouter encore à cette défaveur. Les mémoires, en effet, ont été compromis par la spéculation dans une foule de livres entièrement dénués de tout caractère authentique, tels que les Mémoires du cardinal Dubois, de Gabrielle d’Estrées, de Mme de Pompadour, de Mme Du Barri, d’une femme de qualité (Mme Du Cayla), de la marquise de Créqui, de Fouché, etc. Les nombreuses réclamations auxquelles ces livres et d’autres du même genre ont donné lieu ont souvent jeté dans les faits une confusion singulière. Comment croire à cette littérature, quand on voit des éditeurs annoncer qu’ils ont organisé des bureaux où l’on achète des renseignemens sur