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par la résistance aux peuples ariens, et par l’autorité qu’exerçait sur les vainqueurs un épiscopat au sein duquel dominait l’esprit gallo-romain.

On avait vu les successeurs de Mérovée, sans répudier aucune des rudes traditions léguées par leurs ancêtres, jeter les fondemens d’une sorte d’organisation régulière, dans laquelle l’élément romain se maintenait en son individualité propre, grace à l’influence du sacerdoce, à côté de l’élément germanique en possession de toute la force militaire. Cette société franco-romaine de la première race, dans laquelle une civilisation expirante coexistait avec une civilisation à son aurore, voyait les mœurs élégantes de l’Italie et les institutions du municipe subsister concurremment avec les habitudes sauvages des forêts d’où ses chefs étaient sortis. Cependant on pouvait suivre de génération en génération l’altération graduelle de ces élémens primitifs, et il n’était pas impossible d’entrevoir au sein de cette confusion générale l’embryon d’une unité nouvelle. Lorsque la vénération païenne pour le sang des princes mérovingiens se fut affaiblie sous l’influence chaque jour croissante de l’église catholique, on vit disparaître le fantôme d’une royauté qui ne correspondait plus ni aux croyances ni aux souvenirs. La résurrection de l’empire d’Occident, avec son unité et ses pompes, vint signaler le triomphe éclatant de l’idée romaine exprimée par le clergé.

A partir de ce jour, ce fut contre les souvenirs paternels et contre la domination exercée par l’élément germanique dans les conseils des rois de la deuxième race que se dirigèrent et l’action de l’opinion publique et les efforts des peuples. Les successeurs immédiats de Charlemagne, pour maintenir leur domination impériale, se trouvèrent dans le cas de s’appuyer sur les princes allemands, sortis d’une souche commune, et qui représentaient la même cause et les mêmes intérêts. L’intervention des empereurs germaniques dans les affaires du royaume fut le motif véritable de la rapide impopularité des princes carlovingiens. Il était déjà facile de voir qu’entre la Loire et la Meuse commençait à s’élever une jeune nation qui n’avait plus rien de commun avec ses pères d’au-delà du Rhin, et l’on pouvait s’assurer que cette nation se sentait au cœur une vie propre, dont un idiome nouveau, dérivé du mélange de la langue paternelle avec la langue gallo-romaine, était devenu la rude, mais indestructible expression.

L’expulsion de Charles de Lorraine, le protégé des empereurs allemands, l’élévation de Hugues, duc de France, le vrai et naturel seigneur de Paris, constatent le triomphe du génie indigène sur tous les élémens étrangers. Le jour où la troisième race est appelée à la souveraineté, il demeure évident que le cours des antiques traditions est interrompu, que tous les souvenirs de la patrie primitive sont répudiés, et que le Franc est enfin et à toujours devenu Français. Alors commence notre véritable histoire aux donjons des châteaux que baignent