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la médecine, l’astronomie et les langues de l’Occident[1]. Trop ignorans et d’ailleurs trop énervés pour s’instruire, les Turcs chargèrent les Grecs de leur parler des astres et de les guérir quand ils souffraient. Ils durent aussi leur conférer les fonctions de grand-interprète de la Porte, qui leur firent une place à part et très élevée, d’où ils pouvaient veiller aux intérêts de leurs compatriotes, leur procurer les moyens de s’instruire sans causer d’ombrage aux sultans, et protéger leurs personnes. C’est ce que firent, avec un zèle ardent et une habileté singulière, les deux premiers grands-interprètes, Panayotakis et Alexandre Mavrocordatos. Leurs successeurs marchèrent sur leurs traces. La même supériorité intellectuelle qui avait fait nommer les Grecs drogmans de la Porte les fit arriver à l’hospodarat en Valachie et en Moldavie, à la place de ces ministres turcs, cruels et rapaces, qui ne voyaient dans une telle dignité qu’une occasion de s’enrichir aux dépens de leur maître. Riches autant qu’adroits, respectés des ministres, qu’ils comblaient de présens, et par conséquent des pachas, avec lesquels ils entretenaient des relations constantes, leur influence était considérable, et ils en usaient pour le bien des leurs[2]. Non-seulement les Turcs étaient obligés de rendre justice aux talens des Grecs, mais ils furent aussi contraints plus d’une fois de céder devant leur courage militaire et de leur accorder de bonne grace ce qu’ils auraient conquis de force. Pendant que Mahomet II n’avait qu’à paraître pour s’emparer du Péloponèse, de l’Attique et de l’Eubée, un prince d’Épire, George Castriote, plus connu sous le nom de Scander-Bey, arrêtait le sultan dans sa marche victorieuse. Il l’arrêta trente ans. Ce grand exemple ne fut pas perdu. Scander-Bey légua aux montagnards de l’Épire et de l’Albanie le souvenir de sa bravoure et le mépris des Turcs. Une tradition de courage se maintint dans ces contrées. Alors parurent les armatoles, ces capitaines chrétiens qui, à la tête de leurs palikares, se rendirent redoutables au gouvernement ottoman. Leur existence fut légalement reconnue : on dut leur abandonner la défense des villes et des villages et leur accorder deux voix délibératives sur trois dans l’administration de leurs affaires. Il y eut bientôt des armatoles dans toute la Grèce continentale, dans le Péloponèse et dans l’Eubée. Ces vaillans capitaines, à peu près maîtres chez eux, conservèrent à la Grèce des mœurs guerrières, le sentiment de sa force et ce degré de liberté sans lequel l’intelligence est condamnée à s’éteindre. Enfin il est une dernière faculté par laquelle les Grecs se rendirent nécessaires à la Turquie et l’obligèrent encore une fois d’adoucir sa tyrannie à leur égard. Les Grecs des îles naissent marins. Leur adresse et leur intrépidité, qui devaient plus tard épouvanter la Turquie et porter à sa marine des coups terribles, mirent en faveur, à la fin du dernier siècle, les matelots de l’Archipel. Hussein-Pacha, grand-amiral de Selim III, organisait une flotte à l’aide d’habiles constructeurs venus d’Europe ; les équipages lui manquaient : il eut recours aux marins des Cyclades, surtout à ceux d’Hydra, de Spezzia et d’Ipsara. Il les protégea et leur accorda le libre passage dans les mers du Levant. Montés sur leurs légers navires, les marins grecs visitaient tous les

  1. Voyez le Cours d’histoire de la Littérature grecque moderne, par M. Rizo.
  2. « Ali-Pacha lui-même, dit M. Rizo dans son Histoire moderne de la Grèce, caressait les hospodars, leurs agens et les drogmans de la Porte. »