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à Porto-Rico. Brême ne possède ni tant de richesses ni tant d’audace elle ne se risque point à des relations si lointaines et si multipliées ; elle a, par exemple, abandonné complètement le négoce trop chanceux de l’Amérique du Sud ; elle concentre toute son activité dans ses affaires avec les États-Unis. Brême ne pouvait voir sans quelque jalousie l’éclatante prospérité de Hambourg ; elle a cherché pour elle un lustre original qui l’empêchât d’être trop éclipsée. Hambourg est, comme l’argent, tout à tous. Brême s’est parée d’un attachement plus scrupuleux, d’un culte plus exclusif pour la nationalité allemande ; elle veut intéresser à sa fortune l’industrie nationale, elle affecte de se dévouer à son profit. Brême, si l’on en croit ses journaux, achèterait toujours pour son compte sur le marché germanique, sauf à revendre ensuite à ses risques ; Hambourg (ce qui n’est pas vrai) s’en tiendrait prudemment aux calculs égoïstes de la commission. Brême enfin a découvert une recette spéciale pour signaler l’amour qu’elle porte à ses compatriotes de l’intérieur ; elle a organisé le service public de ce grand fléau qui désole l’Allemagne et qui s’appelle l’émigration. Le sénat de Brême a donné par des règlemens minutieux toutes les facilités, toutes les sécurités désirables aux paysans du Wurtemberg, de la Bavière et du Rhin, qui s’embarquent sur ses vaisseaux pour aller chercher une autre existence par-delà l’Atlantique ; il a multiplié leur nombre en protégeant leur détresse ; l’humanité s’en réjouit, la patrie s’en afflige. C’est d’ailleurs un bienfait qui n’est point sans compensation. Les vaisseaux de Brême, au lieu de partir sur lest, s’en vont, avec des cargaisons d’émigrans, prendre à New-York ces énormes cargaisons de tabac dont ils ont enlevé le monopole à la Hollande.

Ce singulier commerce ne se fait pas du moins à Hambourg dans de si grandes proportions ; un si triste spectacle lui gâterait sa splendeur. Hambourg est la Babylone du Nord, plus sensuelle encore et surtout plus vivante que Vienne. Gouverné par une aristocratie financière qui s’adjoint dans le sénat une petite aristocratie de jurisconsultes, Hambourg a choisi pour maxime universelle : Laissez faire et laissez passer ; mais cette maxime, qui lui apporte l’opulence, ne lui apporte pas la vertu. Il y a de terribles relâchemens dans les mœurs des classes aisées, de bruyans scandales dans la rue. Toute une population venue des quatre coins du monde, matelots de toutes langues, voyageurs de tous métiers, grouille là, pour ainsi dire, au milieu des délices vulgaires de la Vénus des carrefours. La prostitution est instituée sur une aussi vaste échelle que l’émigration à Brême ; elle s’étale avec l’effronterie de Londres. L’honnêteté pudibonde des Allemands du midi se récrie avec fureur contre ce dévergondage autorisé ; leur patriotisme s’indigne par-dessus tout de cette cruelle indifférence avec laquelle les hauts seigneurs du commerce hambourgeois ont toujours repoussé