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en devenait plus difficile, on a tellement exagéré la grosseur des caractères, la largeur des marges, tellement multiplié les vides et les blancs, que les acheteurs ont fini par s’éloigner[1].

Si les romans les plus désordonnés ont trouvé des lecteurs, il faut reconnaître que le bon sens et le bon goût ne se sont point tellement oblitérés, que tous ces écarts aient pu passer sans rencontrer une réprobation sévère. Une réaction incontestable et de jour en jour plus évidente s’opère contre le dévergondage littéraire et l’exploitation mercantile que nous avons signalés. Endurci comme don Juan, le roman est resté sourd à tous les anathèmes, à tous les avis ; mais qu’il y prenne garde, s’il persiste dans cette voie, on peut lui prédire le délaissement et l’abandon, lui répéter ce mot de la statue du commandeur : « Don Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste ; » et, sans aucun doute, en le voyant mourir dans l’impénitence finale, le public répéterait avec Sganarelle « Voilà par sa mort un chacun satisfait. Lois violées, filles séduites, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. »


IV.

Nous avons eu déjà bien des fois l’occasion de montrer avec quelle rapidité les idées les plus opposées se développent en France, avec quelle ardeur passionnée les esprits, dans la politique ou la littérature, se portent aux idées nouvelles pour les oublier presque aussitôt et se tourner vers d’autres problèmes. Le théâtre contemporain nous offre encore la preuve de cette mobilité.

La bibliographie de la littérature dramatique peut se diviser en trois parties distinctes, comprenant l’une l’histoire du théâtre, l’autre l’esthétique de l’art

  1. Lancée sur cette pente fatale, la librairie a eu souvent recours à des moyens extrêmes, et, pour débiter des marchandises repoussées par le public, elle a déployé toutes les habiletés compromettantes de la spéculation. Le mal date de loin déjà, et il est devenu si criant parfois, que les libraires eux-mêmes ont cru devoir protester. On trouve à ce sujet de curieux détails dans une brochure publiée en 18+1 par un libraire, M. Fouque, sous le titre de Quelques abus en librairie. L’auteur parle de romans qui, n’ayant trouvé lors de leur apparition qu’un nombre d’acheteurs insuffisant pour couvrir les frais, ont été remis en vente sous d’autres titres que ceux sous lesquels ils avaient d’abord paru, de telle sorte qu’en acquérant un livre nouveau, on n’avait fait tout simplement qu’acheter un double. « Tout le monde a vu, dit M. Fouque, avec quel art on a tenu en suspens les lecteurs d’un roman publié récemment en six volumes in-8o. Les trois premiers volumes ont paru d’abord en feuilletons dans le journal, et, malgré les promesses qu’il avait faites de donner à ses abonnés l’histoire entière, le quatrième volume a été imprimé directement en in-8o, sans passer avant par le feuilleton ; puis le journal a repris la publication au cinquième volume, et l’a continuée jusqu’à la fin. Il en est résulté que les personnes qui avaient pris un abonnement au journal dans l’espoir d’avoir l’ouvrage en son entier, ont été forcées, pour le lire, de le payer une deuxième fois, en achetant les six volumes in-8o. » Les éditeurs de M. de Balzac ont rajeuni par le même procédé quelques romans de cet écrivain. Ainsi le Centenaire, Annette et le Criminel, Wann-Chlore, Clotilde de Lusignan, le comte Chabert, deviennent après quelques années le Sorcier, Jane-la-Pâle, l’Israélite, la Comtesse à deux Maris.