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de Blifil, celle de Sheridan immolant Joseph Surface, cette contrefaçon du chevalier Grandisson, — à son frère Charles, le type des aimables et francs mauvais sujets. Enfin, quand on énumère ces champions de l’esprit mondain, de la religion naturelle, de la tolérance presque illimitée, comment oublier lord Byron et ses imprécations contre le cant ?

On n’aurait qu’une imparfaite idée de l’esprit inégal de Hood, de cette nature complexe, de ce talent méconnu long-temps et qui s’exposait, par ses licences, à l’être toujours, si nous n’insistions encore sur cette veine féconde de plaisanteries qui défraya d’idées comiques, de parodies saisissantes, de caricatures excentriques, un recueil annuel auquel appartint long-temps une grande vogue. Ici notre embarras est grand et se doit aisément comprendre. D’une part, quel choix faire entre tant de bouffonnes inventions ? De l’autre, ce choix une fois fait, comment espérer d’acclimater ces produits étranges de la gaieté britannique ? A moins de traduire en entier le Conte du Cornet, comment espérer qu’on appréciera les malheurs de cette pauvre vieille femme sourde, qu’un colporteur vient étourdir de ses promesses dorées, et qui se laisse aller à faire emplette d’un cornet magique, à l’aide duquel elle entend, à une lieue à la ronde, tout ce qui se crie, se dit, se chante ou se murmure ? Jugez de l’effet produit sur elle par cette métamorphose subite. Propos licencieux, blasphèmes de toute sorte, chansons d’ivrogne, querelles de ménage, révélations scandaleuses, font à la fois irruption dans ces chastes oreilles, si bien défendues naguère contre les bruits du dehors. Après un premier mouvement d’horreur, la curiosité féminine de mistriss Eleanor Spearing trouve son compte à cette ubiquité auditive ; mais elle n’en a pas prévu les inconvéniens, elle n’a pas deviné la terrible réaction de tous ces mystères dévoilés, de toutes ces existences percées à jour, de toutes ces secrètes infamies qu’une puissance surhumaine surprend et dénonce. Lorsqu’on arrive à découvrir l’auteur caché de tant d’inconcevables indiscrétions, un long cri d’indignation s’élève contre mistriss Spearing ; ses voisins les premiers, et avec eux toute une population exaspérée, lui donnent la chasse comme on la donnait jadis aux sorcières. On tue son chat, on étouffe son épagneul favori, on foule aux pieds, on écrase avec fureur le cornet fatal, et dame Eleanor, traînée au bord de l’étang où elle va périr, lorsqu’elle jette un dernier regard sur ses assassins, reconnaît parmi eux le colporteur infernal, Satan ou Belzébuth en personne.

A mesure que les modes littéraires, les engouemens passagers du public se succédaient sous les yeux de Hood, cet impitoyable railleur était toujours, grace à la souplesse de son talent, en état de décomposer le style le plus nouveau, de ridiculiser, en l’exagérant, le plus éblouissant procédé, de détruire, en abusant des moyens employés pour le produire,