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dû les rendre moins cruels ; mais demandez de l’impartialité pour les favorites ! En accorde-t-on aux rois ? en accorde-t-on à personne quand il y a succès ? et quel succès égala jamais celui de Mme Du Barri ?

Ils sont innombrables, les amans de toutes conditions qu’on lui prête dans cette boutique de modes. En vérité, c’est trop. Dans quel temps aurait-elle fait des chapeaux ? Théveneau de Morande les nomme tous, sans embarras, ces amans ; il les connaît tous ; malheureusement Théveneau de Morande ne mérite pas une confiance absolue. Il a été accusé d’avoir été payé par le duc de Choiseul pour écrire et publier à Londres, contre Mme Du Barri, le Gazetier cuirassé et la Gazette noire, deux ouvrages dont Rivarol aurait pu dire qu’ils ont été pensés dans la rue et écrits sur une borne ; j’ajouterais volontiers : et publiés dans un égout. C’est dans le Gazetier cuirassé, livre fort rare de nos jours, que j’ai lu cette phrase, échantillon du reste : « Quand le duc de Richelieu a vu que le duc de Fronsac se conduisait avec honneur dans l’affaire des pairs, il l’a désavoué pour son fils et n’a pas voulu vivre avec lui. » On lit, à chaque page de ce Gazetier cuirassé, que Mme Du Barri est la fille d’un moine et d’une cuisinière, qu’à dix ans elle fut ravie à ce moine par une courtière ambulante et menée à Paris ; que, fille sans nom pendant dix ans chez Mme Gourdan (nous allons parler de cette célèbre Mme Gourdan), elle s’associa au comte Du Barri pour donner à jouer au brelan et au vingt et un ; que là Lebel la vit pour la première fois et la montra au roi pendant la nuit ; que, présentée ensuite à la cour, créée comtesse et logée au château de Versailles, elle fit chasser une princesse, deux ministres et tous les honnêtes gens. Telle est la substance âcre et vénéneuse que nous avons extraite du trop fameux livre de Théveneau de Morande. Il est bon de remarquer que, si la Gazette noire est bien moins violente contre Mme Du Barri que le Gazetier cuirassé, quoique du même auteur, c’est que la première fut publiée en 1777, peu de temps après la mort de Louis XV, lorsque Mme Du Barri pouvait encore avoir un grand intérêt à acheter le silence de Théveneau de Morande, tandis que la Gazette noire, publiée en 1784, sous un autre règne, ne pouvait plus lui être redoutable. A quoi bon une rigueur qui n’aurait plus effrayé ? La Gazette noire est essentiellement un pamphlet contre les familles nobles, où de Morande recherche leurs titres, pour les nier par des preuves ou de prétendues preuves[1].

La rue de la Ferronnerie est peu éloignée de la rue Saint-Sauveur, et c’est dans la rue Saint-Sauveur qu’était la maison de la fameuse

  1. Elle s’intitulait :
    LA GAZETTE NOIRE,

    IMPRIMÉE A CENT LIEUES DE LA BASTILLE,

    A trois cents lieues des présides, à cinq cents lieues des cordons,
    à mille lieues de la Sibérie.