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la divinité, distincte et séparée de toutes les autres ; toute sa nature est belle, et notre esprit se plaît toujours à la concevoir. Si Aphrodite est la beauté même, Jupiter, père des dieux, Minerve, Apollon, Diane, ne sont pas pour cela dépourvus de beauté ; aux uns appartient la beauté virile aux formes hardies et saillantes, aux autres la beauté de la femme et la douceur des contours arrondis. Les Grecs avaient compris dès long-temps qu’en architecture comme dans tous les arts, les lignes courbes et les surfaces rondes sont plus belles que les lignes droites et les plans ; ils crurent donner à leurs temples assez de régularité, si les lignes imaginaires qui en déterminent la forme, comme les inclinaisons des murs et les axes des colonnes, étaient seules des lignes droites ; par une inspiration supérieure, ils courbèrent les lignes réelles qui se voient dans le galbe des colonnes, dans les architraves, les degrés, les frises. Il en résulta que, si la forme générale du Parthénon est celle d’une pyramide tronquée, les arêtes de cette pyramide sont des lignes courbes, et, à l’exception de certaines parties ou intérieures ou trop petites pour qu’une large courbure y pût être aperçue, il n’y a pas de lignes droites dans le Parthénon. Habitués que nous sommes à des imitations de style grec dans lesquelles toutes ces lignes ont été redressées par la règle ou le niveau, nous sommes étonnés à la vue des temples originaux de la Grèce, et nous ne pouvons trouver la cause de ce plaisir infini qu’ils nous procurent ; notre œil est charmé tout d’abord et parcourt sans effort ces degrés, ces entablemens, ces frises : l’architecte mesure ensuite les proportions des parties et découvre bientôt cette source mystérieuse de plaisir. L’art grec, né tout entier de la nature et inspiré par elle dès son origine, courba les degrés et le pavé des temples, les architraves, les frises, la base même des frontons, comme la nature a courbé la mer, les horizons et le dos arrondi des montagnes. Les murs inclinés de la cella et de l’opisthodome furent composés d’assises curvilignes pour être en harmonie avec le reste du monument et recevoir les larges pierres à caissons qui couvraient le péristyle.

L’art grec arriva donc peu à peu à toute sa perfection, après avoir manifesté dès les premiers temps la puissance dont il était doué. Ce que le travail des siècles ajouta aux ouvrages d’architecture, ce fut principalement la justesse dans les proportions, d’où résulte la grace. C’est ce que l’on peut remarquer également pour les ouvrages de sculpture, dans lesquels on donna d’abord aux mouvemens du corps de la raideur et de la dureté, quand on visait principalement à la majesté et à la grandeur ; plus tard, les membres se dégagèrent, les formes s’arrondirent, les mouvemens devinrent souples et naturels : la force même d’Hercule n’exclut pas la grace. Ainsi, pour conserver la force en gagnant l’élégance, les colonnes doriennes devaient ressembler à des cônes très allongés ; si nous comparons entre elles celles que nous trouvons aujourd’hui dans la Grèce, nous nous convaincrons bientôt que la force ne leur a jamais manqué, et qu’elles ont surtout acquis la grace. Si la puissance est dans la brièveté, l’élégance, au contraire, est dans la longueur et la légèreté du fût. Les colonnes du temple de Neptune à Corinthe n’ont guère en hauteur que deux fois et demie le côté du chapiteau ; il en est de même de quelques tronçons doriques gisant à terre dans les rues de Mégare ; ces colonnes d’une époque fort antérieure au Parthénon ont plus de force apparente que celles de Phidias, mais c’est une force un peu sauvage, qui réside autant dans la masse que dans la forme, comme la force des murs cyclopéens