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fréquente au XIVe siècle, s’exprimait par le mot bizarre de dénaturalisation, comme si en effet le noble mécontent changeait de nature, suivant son caprice[1].

Parmi les grands vassaux, les plus puissans par l’étendue de leurs domaines et la force militaire dont ils disposaient étaient les chefs ou maîtres des ordres de chevalerie établis en Espagne vers le milieu du XIIe siècle comme une milice permanente toujours prête à entrer en campagne contre les ennemis de la foi. Depuis long-temps ils avaient appris à se battre contre les chrétiens. À ces ordres appartenaient quantité de châteaux et de villes. Ils possédaient d’immenses richesses et une clientelle fort étendue, la plupart des familles nobles ayant quelques membres affiliés. Un maître exerçait sur les frères de son ordre une autorité plus absolue que tout autre chef militaire, car l’esprit de corps et des sermens prononcés au pied des autels lui assuraient l’obéissance passive d’une nombreuse association, unie d’ailleurs par une communauté d’intérêts. La puissance de ces chevaleries, ainsi les nommait-on, était encore augmentée par les alliances qu’elles faisaient entre elles. À l’exemple des villes, les différens ordres militaires s’engageaient par

  1. Voici quelles étaient les formalités beaucoup plus compliquées au moyen desquelles on se dégageait de l’hommage prêté pour un château, dans le cas où le seigneur-propriétaire refusait de le reprendre. Un chevalier portugais nommé Martin Vasquez da Cunha tenait à fief le château de Celourico pour la reine doña Beatriz, femme de don Alphonse III. Il voulut se démettre de sa charge, mais la reine refusa. Abandonner le château purement et simplement, c’eût été encourir le reproche de félonie, car il avait prêté serment de défendre Celourico envers et contre tous, et de ne le remettre qu’à la reine, sa dame. Dans son embarras, Martin Vasquez envoya ses messagers dans toutes les cours de l’Europe, suivant la chronique que je copie, pour soumettre un cas si difficile aux rois, aux chevaliers et aux plus habiles docteurs. Muni d’une consultation en forme, « il mit dans son château un coq, une poule, un chat, un chien, du sel, de l’huile, du vinaigre, du pain, de la farine, du vin, de l’eau, de la viande, du poisson, des oignons, des ferremens, des clous, des flèches, une rondache, une lance, un bassinet, des cordes, du bois, une meule, un panier, un coutelas, des charbons, un soufflet, de l’amadou, un fusil et des pierres à feu. Sur la muraille, il fit porter des pierres comme pour repousser un assaut, puis il mit le feu à un des bâtimens compris dans l’enceinte du fort, et fit sortir de la place tous les gens qui s’y trouvaient. Demeuré seul, il ferma les portes en dedans et les barricada. Cela fait, entre deux créneaux il attacha une poulie et une corde, à l’extrémité de laquelle un panier fut fixé. Au moyen de cet appareil, il descendit dans le fossé en se laissant glisser le long du rempart. Ce n’était pas tout que d’être hors de la place, il fallait empêcher que d’autres ne s’y introduisissent par le même procédé. Il y mit ordre en remontant le panier et rejetant la corde par-dessus les murs. Alors le gouverneur, montant à cheval, fit trois fois le tour du château en criant à chaque fois : « Rescousse au château de la reine qui se perd ! » Personne ne paraissant, Martin Vasquez se tint pour dûment exonéré de son serment. »
    Selon l’auteur portugais d’où je tire ces détails, Martin Vasquez fut le premier qui pratiqua cet ingénieux procédé pour s’affranchir d’un serment d’hommage, et ce serait d’après ce précédent, fort approuvé comme il semble, que les formalités susdites furent sanctionnées dans la loi des Partidas en Castille. — Voyez Duarte Nunez do Liâo. Chronicas dos reyes de Portugal, t. II, p. 174.