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roi avait montré d’abord d’irrésolution et de lenteur, autant il témoignait à présent d’impatience pour en finir. Toutefois nul ne pouvait attribuer ce changement à l’impression produite par les charmes de Blanche. Le roi y paraissait toujours insensible ; il la regardait à peine ; mais, convaincu que son mariage était un devoir et une nécessité, il avait hâte de l’accomplir pour obtenir le repos. Les deux fiancés furent menés en grande pompe à l’église de Sainte-Marie-la-Neuve. L’ordre du cortége semblait avoir été réglé de manière à prouver à tous les yeux que les discordes de la Castille étaient à jamais terminées. Le comte de Trastamare, don Tello, Alburquerque, les infans d’Aragon et la plupart des riches-hommes qui avaient joué un rôle dans les derniers troubles, accompagnaient la marche royale, surpris peut-être de se voir réunis ailleurs que sur un champ de bataille. Venaient d’abord don Pèdre et Blanche de Bourbon, montés sur des palefrois blancs et vêtus de robes de brocart d’or fourrées d’hermine, costume alors réservé aux souverains. Alburquerque était le parrain du roi, et la reine douairière d’Aragon, doña Léonor, servait de mère à la jeune reine. On remarqua le choix de sa demoiselle d’honneur, doña Margarita de Lara, sœur de don Juan Nuñez, et, comme si Blanche eût ramené avec elle tous les proscrits, elle avait pour écuyer le comte de Trastamare, qui tenait la bride de son cheval. L’infant don Fernand conduisait le cheval de sa mère, doña Léonor, et son frère don Juan remplissait le même office auprès de la reine Marie. Ainsi, dans ce cortége, le bâtard don Henri avait le pas sur les infans d’Aragon, honneur que quelques-uns trouvèrent excessif, et que d’autres n’attribuaient qu’à la sincérité de la réconciliation entre les fils de don Alphonse. Un tournoi, des courses de cannes, un combat de taureaux, suivirent la cérémonie religieuse, et se renouvelèrent le lendemain. Mais, au milieu de ces fêtes, tous les yeux se portaient avec curiosité sur les nouveaux époux. Chacun lisait sur la contenance du roi sa froideur et même son aversion pour sa jeune compagne, et, comme l’on s’expliquait difficilement qu’un homme de son âge, ardent et voluptueux, se montrât insensible aux attraits de la princesse française, plusieurs murmuraient tout bas qu’il avait été fasciné par Marie de Padilla, et que ses yeux, charmés par art magique, lui montraient un objet repoussant au lieu de la jeune beauté qu’il venait de conduire à l’autel[1].

  1. L’ensorcellement de don Pèdre par la Padilla est la tradition populaire en Andalousie, où l’un et l’autre ont laissé de grands souvenirs. On ajoute que Marie de Padilla était une reine de Bohémiens, leur bari crallisa, partant consommée dans l’art de préparer les philtres. Malheureusement les Bohémiens ne parurent guère en Europe qu’un siècle plus tard. — L’auteur de la Première Vie du pape Innocent VI raconte gravement que, Blanche ayant fait présent à son époux d’une ceinture d’or, Marie de Padilla, aidée d’un Juif, insigne sorcier, changea cette ceinture en serpent, un certain jour que le roi s’en était paré. On pense aisément quelle dut être la surprise du prince et celle de toute la cour, lorsque la ceinture commença à s’agiter et à siffler, sur quoi la Padilla trouva facilement occasion de persuader à son amant que Blanche était une magicienne qui voulait le faire périr par sorcellerie. Baluze, Hist. des papes d’Avignon, I, p : 224 ; Ayala, p. 95.