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nombre de riches-hommes personnellement intéressés à sa disgrace, Alburquerque se sentait abandonné du peuple comme de son roi. Désespérant déjà de ressaisir le pouvoir, il commençait à craindre pour ses immenses richesses. Ses vastes domaines excitaient de grandes tentations, et les prétextes ne manquaient pas pour s’en emparer. De toutes parts s’élevaient des plaintes contre les désordres commis par ses adhérens, dont la conduite, aussi imprudente que coupable, pouvait donner à sa retraite une couleur de rébellion. Il lui fallut songer sérieusement à désarmer le courroux du roi. La mauvaise fortune avait vite abaissé son orgueil, et il s’empressa d’accepter l’espèce de traité qu’on lui offrit au nom de son souverain. Il consentit à livrer son fils en otage et à donner caution pour la bonne conduite de ses vassaux. En retour, le roi promit de lui conserver toutes les terres qu’il possédait en Castille, et lui accorda la permission d’aller résider en Portugal[1]. L’infant don Fernand d’Aragon fut investi de la charge de grand chancelier.

Fier d’avoir humilié le plus puissant de ses grands vassaux, don Pèdre ne voulut point l’accabler. Il respectait les longs services d’Alburquerque sous le roi don Alphonse, et peut-être sa conscience lui reprochait-elle de s’en être séparé dans un moment où il en recevait les plus sages conseils. Mais, s’il excusait l’humeur du ministre disgracié et même les brigandages de quelques vassaux indisciplinés, il regardait comme une impardonnable trahison la conduite de certains chevaliers qui, attachés par leurs charges à sa personne, au lieu de le suivre à Tolède, s’étaient joints aux partisans d’Alburquerque, et semblaient lui avoir offert leurs services contre leur maître. Don Pèdre tenait de son père et d’Alburquerque lui-même que le plus grand des crimes était la désobéissance à la double autorité de roi et de seigneur féodal. Jeune, impérieux jusqu’à la dureté, il voulait se faire craindre, surtout de ces riches-hommes placés si près du trône qu’il croyait voir en eux autant de rivaux. Il annonçait hautement l’intention de faire prompte et sévère justice.

Lorsque don Juan d’Alburquerque s’était retiré dans son château de Carvajales, la plupart des chevaliers ou gentilshommes, vassaux immédiats du roi, l’avaient abandonné pour revenir auprès de leur maître ; d’autres en petit nombre s’étaient courageusement associés à son exil volontaire et jusqu’alors lui avaient formé une espèce de cour qui avait sa splendeur. Interdits par la soumission inattendue de leur chef, ils n’avaient plus d’autre parti à prendre que d’implorer à leur tour la clémence royale. Ils partirent de Carvajales avec le fils d’Alburquerque, otage de la fidélité de son père ; mais, au lieu de se rendre directement à Olmedo, où le roi se trouvait alors, ils osèrent s’arrêter à Tordesillas

  1. Ayala, p. 106.