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divin : c’est encore une bonne et franche veine d’esprit français dans son acception la plus nette et la plus piquante. Seulement l’esprit chez M. de Musset ne va pas droit au but, comme un piéton qui ne veut qu’arriver. Participant de la poésie qu’il côtoie toujours sans la contrarier jamais, il s’amuse volontiers en chemin ; il cueille en passant une fleur, il aspire une bouffée d’air, il joue dans un rayon de soleil. Au lieu d’un trait décoché au spectateur, c’est un souffle caressant qui le surprend et le soulève. Maintenant, y aurait-il dans ces qualités aériennes assez de lest pour arriver jusqu’au public sans s’évaporer au feu de la rampe ? Ce problème, la représentation d’Un Caprice l’a heureusement résolu.

L’histoire de ce proverbe est elle-même assez curieuse ; publié dans cette Revue en 1837, à une époque où l’on sollicitait déjà M. de Musset à travailler pour le théâtre, le Caprice fut traduit par un poète russe et joué en Russie avec beaucoup de succès. Mme Allan assistait à la représentation : devinant aussitôt toutes les graces de l’original, elle voulut lire la pièce française, prit à cœur le rôle de Mme de Léry, et le joua, au théâtre français de Saint-Pétersbourg, avec une distinction qui lui valut un de ses plus beaux triomphes. Cependant la Comédie-Française n’avait attendu ni le succès de la traduction russe, ni le retour de Mme Allan, pour comprendre tout ce qu’il y avait de verve et de finesse dans le talent de M. de Musset, et pour songer à représenter cette comédie d’Un Caprice. Déjà même les rôles étaient distribués, lorsqu’arriva à Paris l’actrice charmante que nous rendait Saint-Pétersbourg. Ce ne fut pas elle qui rapporta la pièce dans ses bagages ; ce fut au contraire l’idée de reparaître sous les traits de Mme de Léry qui décida son engagement et en abrégea les préliminaires. Voilà toute l’histoire ; elle est aussi simple que celle de la prairie de Mme de Sévigné, et nous nous demandons ce qu’on a pu trouver de piquant à tourner en épigrammes contre Paris et contre la Comédie-Française cette preuve de bon goût donnée par Saint-Pétersbourg. Pour être les bienvenus parmi nous, ni M. de Musset, ni Mme Allan, n’avaient besoin de faire leur campagne de Russie.

Quoi qu’il en soit, le succès de l’autre soir a été unanime. L’auditoire s’est prêté, non-seulement de bonne grace, mais avec une joie toujours croissante, à l’élégante ténuité de cette intrigue, dont le fil léger suffit à tant de transparentes broderies. Tous ces jolis détails de bourses et de tasses de thé, toutes ces fines reparties qui se croisent et s’enroulent autour de cette causeuse et de cette table, ce mélange de sensibilité et de gaieté, pareil au sourire mouillé dont parle Homère, cet art si caché et cependant si réel de dessiner peu à peu les caractères par les lumineuses échappées du dialogue, comme un paysage qui se précise et s’éclaire graduellement à travers les brumes matinales, tout cela a été senti, accueilli, applaudi du premier coup. Chaque spectateur semblait heureux de s’associer à ce triomphe de la vraie littérature au théâtre ; il y avait dans le plaisir que nous goûtions quelque chose de si exquis, de si flatteur, que ce n’était pas l’amour-propre de l’auteur que nous caressions en applaudissant, c’était le nôtre. On doit ajouter que l’exécution a été excellente. M. Brindeau s’est bien tiré d’un rôle difficile, celui d’un homme aimable et mystifié ; Mlle Judith a déployé, dans le personnage de la jeune femme, une grace touchante et sympathique. Quant à Mme Allan, elle nous a fait bien vite partager sa spirituelle prédilection pour le rôle de Mme de Léry ; il est impossible d’interpréter avec un sentiment plus juste et plus vrai ce délicieux caractère qui cache, sous