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des duos, des sextuors même et des morceaux d’ensemble d’une allure fort convenable. Ce qui dépare sa partition, ce sont les réminiscences. Le trio de la séduction, au premier acte, rappelle, à s’y méprendre, le joli duo : Ah ! l’honnête homme ! de Robert-le-Diable. Le sextuor est calqué sur celui de Lucie. La chanson bachique, reprise, au finale, avec un accompagnement sinistre, est un reflet de Zampa. C’est souvent faute d’un souvenir assez net qu’on commet ces plagiats involontaires. M. Maillard n’a pas eu assez de mémoire pour oublier. Ce qu’il y a de mieux dans son Gastibelza, c’est le refrain mélancolique de Monpou, habilement ramené, et qui revient, de temps à autre, comme une bouffée de ce vent qui avait rendu fou l’amant de doña Sabine. Monpou a été le vrai musicien de cette guitare de M. Hugo, et elle a perdu quelque chose de son caractère et de sa couleur en se transformant en un opéra en trois actes. Si nous voulions résumer notre opinion sur Gastibelza, nous dirions que cet ouvrage est, dans l’ordre musical, ce qu’est le mélodrame dans la hiérarchie littéraire. Au reste, le mélodrame, ainsi que le prouve son nom grec, ne devrait être qu’un drame mêlé de chant et de musique, et l’Opéra-National aura eu au moins le mérite de le ramener à son étymologie.

Non, créer de nouveaux théâtres, ce n’est pas un progrès, c’est une décadence ; l’éparpillement est une des plaies de notre époque ; les forces intellectuelles et actives qui se condensaient autrefois sur quelques points et trouvaient dans cette concentration même une chance de fécondité, se divisent, s’atténuent à l’infini, et ne réalisent rien parce qu’elles effleurent tout. Ce symptôme qui se révèle dans toutes les branches de l’art, et surtout en littérature, explique pourquoi nous avons si rarement l’occasion de proclamer un nom, de recommander un ouvrage. La cause de cette diminution des vrais livres est trop évidente ; c’est que l’esprit, le talent, la réflexion, nécessaires pour les écrire, s’exhalent et s’évaporent, en détail, par mille fugitives échappées. Aussi, quand on rencontre une œuvre patiemment méditée, habilement conçue, brillamment écrite, on a lieu de se réjouir et d’insister. Ces divers mérites, nous les signalions dernièrement dans. L’Histoire de la conquête de Naples par Charles d’Anjou, de M. le comte Alexis de Saint-Priest. Si nous les rappelons aujourd’hui, c’est que nous les trouvons plus précieux en songeant aux vides qui se sont faits dans la littérature sérieuse, aux difficultés qu’elle éprouve pour réparer ses pertes. L’Académie française n’a pas encore donné de successeur à M. Ballanche. Le spirituel historien de la chute des jésuites et de la conquête de Charles d’Anjou n’a-t-il pas sa place marquée dans ces rangs où l’on aime à rencontrer des esprits d’élite représentant l’heureuse alliance de la littérature et du monde ? Sans doute les candidatures de grands seigneurs ne sont plus possibles de nos jours, et Richelieu lui-même, eût-il pris dix fois Minorque, serait obligé d’apprendre l’orthographe avant de briguer un fauteuil ; mais de tout temps, et en dehors de toute catégorie sociale, on doit accueil à ceux qu’une double distinction prépare à exercer sur les lettres une salutaire influence. Cicéron a défini l’orateur : un homme de bien qui sait parler. En face des misères de la littérature proprement dite, du gaspillage des écrivains de métier, de ce manque trop fréquent de tenue et de convenance, l’on définirait volontiers l’homme de lettres : un homme du monde qui sait écrire.


ARMAND DE PONTMARTIN.